La difficile reconnaissance de la responsabilité pénale des communes


« Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale ». Cet aphorisme, attribué à Léon Duguit, auquel le professeur Jean-Claude Soyer répondait : « moi non plus, mais je l’ai souvent vu payer l’addition », traduit remarquablement les difficultés de l’appréhension du concept de personne morale en droit français.

S’il est difficile d’affirmer l’existence d’une personne morale, dont la personnalité se distingue de celle de ses membres, il est encore plus difficile d’imaginer cette personne sanctionnée pénalement. Comment exercer la sanction pénale classique sur une entité abstraite ? Il n’est évidemment pas possible de la condamner à une peine d’emprisonnement, ou d’exécution de travaux d’intérêt général…

Incapable de s’exprimer, d’agir et d’avoir même une existence propre en dehors des personnes physiques qui la composent, la personne morale n’en demeure pas moins titulaire de droits et d’obligations. Par extension du droit applicable aux personnes physiques, le législateur français lui reconnaît depuis 1992 une responsabilité pénale.

Qu’est-ce qu’une personne morale ?

Une personne morale se définit comme un groupement de personnes physiques poursuivant un objectif commun et doté d’une personnalité juridique propre, distincte de celle de chacun des membres qui la composent. Elle est titulaire de droit et obligation, au même titre qu’une personne physique. Elle peut posséder des biens, conclure des contrats, ester en justice et même faire l’objet de poursuites judiciaires.

Si le principe de cette responsabilité est aujourd’hui admis, il a longtemps été un sujet de débat. D’aucuns arguaient que puisqu’elle dispose d’une personnalité distincte de celle de ses membres, la personne morale est donc capable de commettre des infractions pénales, et doit donc pouvoir être condamnée à ce titre. En opposition, d’autres étaient fermement ancrés aux réalités positives : si la personne morale commet une infraction, c’est avec la main de celui qui la représente ; c’est donc cette main-là qu’il faut condamner.

La responsabilité pénale des personnes morales constitue donc l’innovation majeure du Code pénal de 1992. Elle est consacrée à l’article 121-2 du Code pénal : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement (…) des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Toutefois, les collectivités territoriales et leur groupement ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public.
La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits (…) ».

La personne morale peut être condamnée en tant qu’auteur de l’infraction, ou en tant que complice.

La circulaire du 13 février 2006 (1) opère une distinction entre l’infraction intentionnelle et l’infraction non intentionnelle.
En cas d’infraction intentionnelle, les poursuites pourront être exercées à la fois contre la personne physique et contre la personne morale.
En cas d’infraction non intentionnelle, les poursuites contre la seule personne morale devront être privilégiées, et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une faute est suffisamment établie contre elle.

De ce fait, la loi est plus sévère avec les personnes morales, car leur responsabilité pénale peut être établie, même si celle-ci n’a eu qu’un effet indirect dans la réalisation du dommage.

Les sanctions prévues :

Les peines d’emprisonnement n’étant naturellement pas applicable aux personnes morales, elles n’encourent que des amendes, qui sont quintuplées par rapport au montant prévu pour les personnes physiques.

Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune amende n’est prévue pour les personnes physiques, l’amende maximale encourue pour une personne morale est de 1 000 000 d’euros (2).

 

L'intérêt de la responsabilité pénale des communes

L’intérêt de la responsabilité pénale des communes, et plus globalement, des personnes morales, est double.
Elle permet de dégager une culpabilité lorsque la chaîne des responsabilités est tellement complexe qu’on ne peut pas savoir précisément qui a commis personnellement l’erreur ou la faute. C’est le dysfonctionnement de l’entité sociale qui constitue la base de la responsabilité pénale : une succession de petites erreurs peut alors être sanctionnable.
Elle permet ensuite, très concrètement, d’avoir l’assurance de l’efficience de la condamnation. La solvabilité de la commune est acquise, contrairement à la solvabilité de la personne physique fautive, lorsqu’il s’agit de réparer des dégâts considérablement coûteux.

 

La réalité de la responsabilité pénale des communes :

Comme il l’est traité dans l’étude du régime de la responsabilité pénale des communes, ces dernières ne peuvent pas être tenues responsables pénalement pour une faute commise dans le cadre d’activité ne pouvant pas faire l’objet de délégation de service public. De ce fait, certains pans de l’action communale échappent totalement au procès pénal.
Dans cette occurrence, il existe un exemple particulièrement évocateur : l’affaire du Drac.
Une sortie scolaire a eu lieu au cours d’une classe de découverte animée par un fonctionnaire de la ville de Grenoble, accompagnateur du groupe dans le lit de la rivière du Drac. Le lâcher d’eau du barrage a surpris le groupe, causant plusieurs victimes.
La commune de Grenoble fut condamnée en première instance, puis en appel, suite à un dysfonctionnement du service communal d’encadrement des sorties scolaires. La peine prononcée par la Cour d’appel était une amende de 500 000, 00 F.
La Cour de Cassation reprocha aux juges d’appel de ne pas avoir appliqué correctement le droit applicable en considérant que l’activité de surveillance des sorties scolaires était une activité susceptible de délégation de service public. Ainsi, la Haute cour cassa la décision de la Cour d’Appel, précisant que « l’activité litigieuse consistant non en la gestion d’un service public local (…) mais en la participation à un service public d’État », activité qui ne peut pas se déléguer.
Toutefois, il peut arriver qu’une commune gère en régie une activité dont la réglementation appartient au maire, par le biais de son pouvoir de police. La responsabilité de la commune peut alors être recherchée en sa qualité d’exploitant de l’activité, même si elle ne peut pas l’être sur le fondement de l’usage du pouvoir de police.

 

(1) Circulaire n°06-3/E8 de la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice du 13 février 2006.

(2) Article 131-38 du Code pénal.

   
 

 
 


 

 

 

 
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