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Politiques publiques

Information préventive

Dépasser la communication persuasive autour des risques naturels en montagne

Publié le 8 décembre 2021

Par Mikaël Chambru & Jean-Philippe De Oliveira

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Dépasser la communication persuasive autour des risques naturels en montagne
« Quand je rentre tard le soir, je sais qu'il y a des éboulements possibles sur la route et les conséquences que cela peut avoir : on a suffisamment d’informations depuis toutes ces années, il ne faut pas exagérer » © Mikaël Chambru

En France, la communication autour des risques naturels s’articule autour d’une injonction à l’« information préventive ». Celle-ci envisage la communication publique dans une perspective persuasive visant à faire changer les comportements. Or cette approche s’avère généralement peu efficace. Les résultats d’un projet de recherche européen plaident pour une autre approche de la communication.


En France, l’« information préventive » est un axe privilégié des politiques publiques relatives à la gestion des risques naturels. Axée sur une logique de responsabilisation accrue de l’individu, elle est mobilisée comme outil de réduction de la vulnérabilité avec comme finalité de modifier les comportements des publics. Cette politique est résumée par le triptyque communicationnel suivant : « informer, c’est prévenir un danger », « informer, c’est façonner des « comportements responsables » », « informer, c’est protéger ».

La communication n’est pas un dispositif capable à lui seul de mettre en cohérence, voire d'uniformiser, les pratiques des individus, y compris au sein de territoires « à risques ».

Or, les sciences de l’information et de la communication ont montré de longue date les limites de cette approche et les effets de croyance dans la « toute puissance » de la communication. Le mythe de l’efficacité du marketing surestime en effet l’impact sur l’opinion et les comportements des récepteurs, qui filtrent et interprètent les messages plus qu’ils ne les reçoivent tels quels, voire y décèlent des intentions qu’ils rejettent (comme les tentatives de certaines entreprises de mettre en avant des valeurs écologiques qu’elles ne respectent pas dans la pratique de leurs activités économiques). Ces limites rendent généralement peu efficace la communication publique par rapport aux objectifs qu’elles affichent tout en étant en décalage avec les attentes des publics. La communication n’est donc pas un dispositif capable à lui seul de mettre en cohérence, voire d'uniformiser, les pratiques des individus, y compris au sein de territoires « à risques ». C’est à partir de ce constat scientifique qu’a été conduit pendant trois années au sein de l’Université Grenoble Alpes un projet de recherche-action européen autour de la communication sur les risques naturels en montagne.


« On parle d’informations préventives et de risques… mais est-ce que la municipalité fait les bons choix politiques ? Voici la vraie question pour moi. » © Mikaël Chambru

Nos résultats montrent que déployer une action publique visant améliorer l’« information préventive » autour des risques naturels grâce à de nouveaux outils de communication ne conduit pas à améliorer la résilience des territoires face à de potentielles catastrophes. Plutôt que de favoriser les changements de comportements, elle participe à révéler des divergences sociales. Il existe en effet un décalage entre les pouvoirs publics faisant des risques naturels un problème à prendre en charge et les habitants qui ne vivent pas collectivement ces situations comme problématiques et comme nécessitant une intervention publique renforçant l’« information préventive ».

Ces derniers sont par contre avant tout préoccupés par les risques socio-environnementaux, notamment économiques, soulevés par le problème climatique en montagne et ses effets sur le modèle de développement territorial fondé sur l’activité touristique hivernale. Ils priorisent unanimement ces risques avant les risques naturels en termes d’urgence à agir pour y faire face. Nos résultats montrent donc que l’inquiétude socio-économique formulée par les habitants du territoire est en décalage avec le besoin d’information préventive sur les risques naturels fixé a priori par les institutions nationales et supranationales. Dans cette perspective, l’enjeu territorial ne serait donc pas de construire de l’« information préventive » sur des risques déjà définis, mais de construire collectivement ces risques.

Il existe en effet un décalage entre les pouvoirs publics faisant des risques naturels un problème à prendre en charge et les habitants qui ne vivent pas collectivement ces situations comme problématiques et comme nécessitant une intervention publique renforçant l’« information préventive ».

Nos résultats montrent que communiquer sur les risques naturels dans le contexte montagnard implique d'anticiper la réception des publics visés à ce type d'information. Or, il a été clairement établi que les habitants de stations de montagne sont lassés de la thématique des risques, qu'ils ne les dénient pas mais connaissent ceux inhérents à leur territoire et connaissent les bonnes pratiques afin de les éviter : la consultation de Météo France, du site de leur commune ou de l'information affichée à l'office du tourisme ou au bureau des guides, afin d'adapter leurs activités. De fait, il serait contre-productif d'établir une information préventive explicitement à leur encontre, perçue comme infantilisante et déniant la connaissance de "leurs" montagnes.

En revanche, une communication à destination des touristes, en mobilisant des supports et des lieux de diffusion qui n'échapperaient pas non plus aux habitants, permettraient de rappeler les bonnes pratiques à tous

En revanche, une communication à destination des touristes, en mobilisant des supports (affiches, flyers...) et des lieux de diffusion (affichage public, services publics, commerces...) qui n'échapperaient pas non plus aux habitants, permettraient de rappeler les bonnes pratiques à tous, sans pour autant que les résidents du territoire ne rejettent le message. Les phrases d'accroche porteraient sur les pratiques d'information déjà mobilisées par les habitants comme avec des visuels faisant ressortir la douceur des montagnes : 

- Une envie de randonnée en montagne ? Pour éviter les risques, consultez le site de Météo France ou renseignez-vous à l’office du tourisme.

- En préparant votre journée au ski, consultez le site des remontées mécaniques pour préparer vos descentes en toute sécurité.

- Pendant votre journée au ski, prenez du plaisir, profitez du paysage, tout en sécurité : soyez vigilants aux panneaux d’information mis en place !

Il ressort de nos entretiens que les habitants attendent une approche de la gestion des risques incluant une dynamique collective de mise en politique globale du devenir des territoires alpins.

Au-delà cette dimension très opérationnelle de la prévention des risques, il ressort de nos entretiens que les habitants attendent une approche de la gestion des risques incluant une dynamique collective de mise en politique globale du devenir des territoires alpins.

Dès lors, la fabrication de la dimension communicationnelle d’une politique de prévention pourrait être une occasion privilégiée d’impliquer les habitants dans la construction de ces enjeux socio-politiques, c’est-à-dire de déplacer la question initiale à l’ensemble des risques – naturels et socio-économiques – auxquels les habitants s’estiment confrontés.

S’inscrivant dans une logique de démocratie participative plutôt que technocratique, il ne s’agit plus avec la communication de valoriser un point de vue afin d’obtenir un accord des habitants pour adopter un « bon » comportement déjà donné, mais de favoriser par le "conflit" l’émergence d’une culture commune. C’est rendre publique l’information, identifier les points d’accord pour agir, construire les désaccords pour nourrir le débat démocratique.


« Les vrais risques ici, ils ne sont pas naturels : ils sont économiques. Ce sont les touristes qui nous font vivre à l’année, Il faut qu’ils continuent à venir et pour cela, il faut qu’on s’adapte au changement climatique. C’est de cela qu’on devrait débattre. » © Mikaël Chambru

 

// Cet article fait partie de la version extensive du Risque Infos n°43 sur le Web (le lire en PDF), il poursuit le dossier spécial sur l'information préventive de la revue papier que vous pouvez lire ici :

En savoir plus :

> Chambru Mikaël et De Oliveira Jean-Philippe, « Communiquer sur les risques naturels en montagne : des effets de croyance aux divergences sociales », Revue de géographie alpine, n°109-2, 2021.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03409818/document

> De Oliveira, Jean-Philippe, « Organisations & communication. Les enjeux de la com' en contexte néolibéral », Éditions Campus ouvert, 2020
https://journals.openedition.org/communicationorganisation/9699

> Dacheux Eric, « Du consentement à la délibération : une critique communicationnelle du marketing politique », Communiquer, 16.
https://journals.openedition.org/communiquer/1914



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