Catastrophes naturelles | Changement climatique
Le torrent des Étançons draine un bassin versant de haute montagne de 34 km² entouré de sommets mythiques du massif des Écrins tels que la Meije, le Dôme des Écrins ou Roche Faurio. Le torrent conflue avec le Vénéon au niveau du hameau de la Bérarde, à 1700 m d’altitude. Dans la nuit du 20 au 21 juin, le torrent en crue a déposé près de 200 000 m3 de sédiments sur son cône de déjection. Après avoir comblé de matériaux son ancien chenal, le torrent a divagué sur la totalité du cône de déjection avant de creuser un nouveau chenal en rive gauche, au cœur du hameau (figure 1). Aucune victime n'est à déplorer, mais de nombreux bâtiments et les différents réseaux ont été impactés.
Aucune crue de l’historique connu du torrent ne semble de magnitude comparable à la crue du 21 juin 2024. Les évolutions géomorphologiques suggèrent qu’une telle crue n’a pas été observée à minima depuis plusieurs siècles, et les volumes de matériaux exportés par le torrent suggèrent que la période de retour de la crue torrentielle est bien supérieure à la centennale. La crue du 21 juin 2024 peut donc bien être caractérisée d’exceptionnelle.
L’origine principale des matériaux déposés à la Bérarde se trouve au niveau du torrent de Bonne Pierre, affluent rive gauche du torrent des Étançons 700 mètres en amont de la Bérarde. On estime qu’environ 300 000 m3 de matériaux ont été érodés sur ce torrent pendant l’évènement. Le torrent de Bonne Pierre draine un bassin versant de 9 km², dont 1.7 km² est couvert par le glacier de Bonne Pierre (figure 2). Le torrent s’écoule sur de fortes pentes jusqu’à la Bérarde, y compris sur son cône de déjection (26 %), permettant un transit direct de l’essentiel des matériaux vers les enjeux.
Au-delà des facteurs de prédispositions tels qu’une forte disponibilité en matériaux pour le torrent de Bonne Pierre et une forte connectivité sédimentaire avec la Bérarde, les causes de la crue – telles qu’analysées dans le travail de rétroanalyse de l’évènement en 2024 [1] – semblent multiples :
L’influence du phénomène glaciaire sur cette crue a notamment été mise en évidence par l’analyse de la temporalité de l’évènement. Les premiers débordements du torrent des Étançons à la Bérarde sont observés en milieu de nuit tandis que la crue du Vénéon et les crues généralisées des affluents – en réaction à l’épisode nivo-météorologique – ont atteint leur paroxysme seulement en début de matinée.
Le glacier de Bonne Pierre, qui a accueilli le lac supraglaciaire ayant contribué à la crue, est un glacier couvert de débris situé dans un large cirque nord à ouest, sous les sommets du Flambeau des Écrins (3551 m), du Clocher des Écrins (3808 m), du Dôme des Écrins (4015 m), et de Roche Faurio (3730 m). Depuis 1820, le glacier a perdu environ 55 % de sa surface, soit un taux de perte moyen de 2.8 % par décennie. Une accélération du retrait glaciaire est cependant observée depuis 2010 avec des valeurs de l’ordre de 11 m/an, contre 1.7 m/an de moyenne entre 1930 et 2000. Dans la partie basse du glacier, la topographie de surface a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années. En effet, le nombre de dépressions en surface du glacier semble croissant depuis les années 2000.
C’est au sein de plusieurs dépressions de surface que s’est créé le lac temporaire de Bonne Pierre. Ce dernier se situe à 2575 m d’altitude, en rive droite du glacier à environ 700 m du front. L’analyse des images satellites suggère qu’un lac a été observé à cet emplacement du glacier pour la première fois en 2016. D’une surface limitée au départ, il n’a cessé de grossir à la faveur de l’agrandissement des dépressions de surface pour atteindre environ 14 000 m² en 2024 et un volume estimé à environ 100 000 m3. La particularité de ce lac, au-delà de sa présence en surface d’un glacier couvert de débris, réside dans son intermittence. En effet, le lac est visible uniquement quelques semaines par an à la saison de fonte, principalement aux mois de mai et de juin. De 2016 à 2023, le lac se vidange ensuite naturellement sans créer d’inondation à l’aval ou d’érosions marquées.
En 2024, la dernière image satellite du lac date du 17 juin, soit trois jours avant la crue du torrent des Étançons. Au lendemain de l’évènement, le lac est vide (figure 3). Malgré l’absence d’image satellite exploitable entre le 17 juin et le 21 juin (couverture nuageuse), il semble très probable que le lac se soit vidangé dans la nuit du 20 au 21 juin au regard de la temporalité de la crue observée à la Bérarde.Les visites de terrain après l’évènement ont permis d’observer plusieurs conduits intraglaciaires par lesquels le lac s’est vidé. L’essentiel des écoulements a donc transité à l’intérieur puis sous le glacier avant de ressortir par le front, au niveau duquel une voute d’environ 70 m² de surface est observée. En l’absence de connaissance de la dimension des conduits ayant permis la vidange du lac dans le glacier et de l’évolution de ces dimensions pendant la vidange, il n’est pas possible de reconstituer un hydrogramme de vidange (durée, débit de pointe). On sait néanmoins que la vidange n’a pas été brutale, bien qu’elle ait probablement été plus rapide que les années précédentes. L’absence de cohérence temporelle entre les modélisations hydrologiques et les témoignages à la Bérarde suggèrent que l’influence glaciaire sur les débits s’est étalée à minima sur 6 heures, entre 22 h le 20 juin et 4 h le 21 juin.
Au regard de ces éléments, il est possible d’affirmer que le changement climatique en cours a favorisé l’apparition puis l’agrandissement de ce lac temporaire, à la faveur de la fonte rapide des dernières décennies se traduisant sur le glacier de Bonne Pierre par l’apparition de dépressions de surface. L’occurrence de l’épisode de pluie sur neige très haut en altitude, qui a probablement joué le rôle de déclencheur de la vidange de 2024 par une mise en charge du réseau sous-glaciaire, est aussi favorisée par le réchauffement en cours. Ce scénario de vidange d’un lac glaciaire temporaire associé à un épisode de pluie-sur-neige, à la fois complexe et inédit, n’était pas prévisible et a été rendu plus probable par le changement climatique.
Au-delà du fonctionnement du lac et de la dynamique de vidange qui ne sont pas précisément connus, la contribution du glacier de Bonne Pierre à la crue pose aussi la question de la présence d’autres rétentions d’eau à l’intérieur du glacier. Les analyses menées pour tenter d’estimer les volumes d’eau d’origine glaciaire à partir des débits observés ou du transport solide n’ont cependant pas abouti (incertitudes trop importantes).
Des éléments de réponse à cette question pourraient plutôt se trouver dans l’analyse du glacier en lui-même. Il a été observé en fin d’été 2024 l’effondrement d’un plafond de glace à environ 100 mètres du front, laissant apparaitre une cavité d’origine hydraulique de 5000 à 10 000 m3(figure 4). Cette dernière, située sous une dépression de surface, se serait formée sous la pression de l’eau sur plusieurs saisons, et se serait vidée pendant l’évènement. L’hypothèse retenue pour expliquer la formation de telles formes réside dans la présence de dépressions de surface, qui peuvent favoriser la rétention d’eau sous le glacier par blocage mécanique au niveau des dépressions. Le développement d’un nombre important de dépressions de surface sur le glacier de Bonne Pierre, qui pose la question de l’apparition de lacs supraglaciaires, pose aussi la question de potentielles rétentions d’eau sous-glaciaires. Les inconnues sont encore nombreuses, et l’instrumentation du glacier à venir en 2025 pourrait permettre d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions.
Au final, la contribution du glacier de Bonne Pierre à la crue du 21 juin pose la question de l’évolution de ce type de glaciers dans le contexte du changement climatique, et interroge sur la réponse hydrologique des bassins versants glaciaires à des épisodes de pluie et de fonte de plus en plus marqués à haute altitude.
[1] https://www.onf.fr/vivre-la-foret/+/246e::rapport-de-retro-analyse-de-levenement-de-la-berarde.html
// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°48, mai 2025, à consulter ici ou là :
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