Mémoire & retour d’expérience | Crue / Inondation
Catastrophes naturelles | Gestion de crise
Au cours des mois de novembre et décembre 2023, les Alpes du Nord ont été marquées par la manifestation d’aléas naturels remarquables tant par leur impact que leur intensité inhabituelle. Ces phénomènes trouvent leur explication dans un contexte météorologique particulier. Après un début d’automne exceptionnellement chaud et sec, des perturbations se sont succédé à partir de la mi-octobre, apportant un cumul abondant de précipitations sur les massifs des Alpes du Nord jusqu’à la fin d’année 2023. Ces perturbations ont été accompagnées d’une fluctuation défavorable de la limite pluie/neige, générant des évènements pluvieux sur des sols enneigés et gorgés d’eau et une importante fonte nivale contribuant aux crues et la saturation des sols. Sur une grande partie des Alpes du Nord, les cumuls de précipitations sur 60 jours consécutifs ont une période de retour supérieure à 25 ans, et certains postes climatologiques ont même enregistré un nouveau record de cumul depuis le début des mesures il y a 80 ans (source : Météo France).
Parmi les missions confiées par les ministères en charge de la forêt et des risques naturels, les services de Restauration des terrains en montagne de l’ONF recensent les évènements naturels en montagne afin de maintenir la base de données RTM. Ces données (en date du 1er mai 2024) ont permis de chiffrer et cartographier l’ampleur de cet épisode. Comme le montre la carte en figure 1, les phénomènes observés sont de natures diverses : débordements de torrents, inondations, glissements de terrain, éboulements. Les évènements sont généralisés sur l’ensemble des trois départements nord-alpins et se sont produits essentiellement dans les zones de montagne. La BD-RTM indique que les phénomènes observés sont majoritairement des crues torrentielles en novembre et des glissements de terrain en décembre. La diversité des phénomènes et leur enchainement rendent compte de l’atypie de ces deux mois.
À La Léchère, dans la vallée de la Tarentaise, le ruisseau de la Fougère a connu une crue torrentielle d'une ampleur rare. Son bassin versant, de forme allongée, s’étend sur une longueur de 11 km pour 29 km2 de superficie. Les premiers débordements sont constatés dans la nuit du 14 au 15 novembre à Notre-Dame-de-Briançon. Le torrent, en crue, déborde et divague alors dans le village transportant une importante quantité de sédiments : la voie ferrée est détériorée (une interruption de plus de quatre semaines sera nécessaire pour remettre les trains sur les rails), une cinquantaine de bâtiments est inondée engendrant un relogement d’urgence de plusieurs foyers, une large zone est engravée et la station d’épuration ainsi que le passage à niveau sont hors service.
Les analyses post-évènement montreront que l’ensemble du bassin versant a contribué. Les sources des sédiments sont de natures diverses : érosions de berge, coulées de boue consécutives à des glissements de terrain, érosions de dépôts torrentiels, reprises de matériaux en fond de lit.
Ce qui marquera également cet évènement, c’est la durée de la crue : bien après la fin des précipitations et les premiers débordements, le torrent était encore en crue jusqu’au début de soirée du 15 novembre. Les travaux d’urgence entrepris pour essayer de remettre le torrent dans son lit auront limité l’étendue des dégâts.
Cette crue, par l’ampleur de ses dégâts et sa rareté, a dû surprendre plus d’un riverain. Bien que ce scénario eût été anticipé dans le Plan de prévention des risques naturels de la commune (préfecture de la Savoie, ONF-RTM, 2007) en tant que scénario potentiel, aucune crue de cette ampleur n’avait été observée de mémoire d’homme. À titre d’exemple, la voie ferrée construite il y a 130 ans n’avait jamais été submergée par une crue.
À Saint-Sorlin-d'Arves dans la vallée de la Maurienne, le ruisseau de l'Église a été le théâtre de deux évènements majeurs et distincts en l'espace d'un mois. Ce cours d’eau est un affluent de l’Arvan, il draine un petit bassin versant de 0,5 km2. Dans la nuit du 14 au 15 novembre, une crue composée de bouffées de lave torrentielle (écoulement fluide avec une concentration très importante en matériaux) remplit une plage de dépôt de 800 m3 avant de continuer en direction des habitations. Le canal qui traverse le village est dépassé, la lave sort de son lit avec une force dévastatrice. Les matériaux se répartissent de part et d’autre du chenal sur une vingtaine de mètres de large en engravant l’ensemble de la longueur du cône de déjection. Plusieurs habitations sont atteintes, ainsi que l’église.
Il s'agit de l'évènement le plus fort jamais connu sur ce cours d'eau, le dernier remontant à 1992 avec trois fois moins de volume mobilisé. Ce sont environ 6 000 m3 de matériaux qui ont été déplacés lors de cette crue, provenant pour moitié d’un glissement de terrain activé à l’amont immédiat de la plage de dépôt. La commune a su rebondir et, conjointement avec le Syndicat du Pays de Maurienne, des travaux d’urgence ont été immédiatement entrepris, ce qui a permis d’éviter des dégâts supplémentaires.
Un mois plus tard dans la nuit du 13 au 14 décembre, un nouvel évènement se produit sur le même torrent. Plusieurs coulées boueuses remplissent la plage de dépôt du torrent de l’Église. Cette fois-ci, ce sont près de 7 000 m3 de matériaux qui sont piégés (soit presque dix fois plus que la capacité théorique de l’ouvrage de 800 m3). Cet évènement diffère du précédent : les écoulements du mois de décembre sont plus denses, plus visqueux. Ils ont pu être retenus par la plage de dépôt alors que les écoulements plus liquides de novembre n’avaient pu être contenus.
Ces coulées boueuses proviennent du glissement de terrain réactivé lors de la crue du mois précédent. Elles sont consécutives à des précipitations, dans une période de redoux, à la suite de chutes de neige récentes : des conditions semblables à celles de la mi-novembre. Une fois de plus, la municipalité a été réactive et a fait rapidement intervenir des pelles mécaniques afin de remettre le ruisseau dans son lit.
Ce qui est notable sur ce site, et qui reprend dans l’ensemble ce qui s’est passé dans les Alpes du Nord, c’est le changement de nature des phénomènes entre les deux épisodes. Le mois de novembre dans les trois départements nord-alpins a vu une grande proportion d’évènements de nature torrentielle (50 %), alors qu’en décembre, les glissements de terrain ont été majoritaires (56 %). Il y a donc eu une évolution du phénomène prépondérant entre les deux périodes.
Cet enchainement d'évènements remarquables témoigne d'un automne particulier. Sur les Alpes du Nord, l’année 2023 est la première, depuis au moins l’an 2000, à comporter autant d’évènements pour les mois de novembre et décembre : 255 évènements ont pu être recensés sur les départements de la Haute-Savoie (99), de la Savoie (78) et de l’Isère (78). Ce nombre est remarquable car il correspond à la moyenne annuelle du nombre d’évènements sur les vingt dernières années ; ainsi en deux mois il y a eu autant d’évènements que lors d’une année moyenne.
Nous pourrions faire le parallèle avec janvier 2018 qui a marqué les esprits avec plus de 500 évènements enregistrés dans la BD-RTM mais cela serait trompeur. Effectivement, bien qu’une première partie de janvier 2018 corresponde à des conditions météorologiques similaires avec un redoux pluvieux sur sol enneigé ainsi que de nombreux évènements torrentiels et géologiques, la suite du mois a vu passer un retour d’Est fort ayant pour conséquences de nombreuses avalanches. Il serait dans les faits plus juste de comparer la fin d’année 2023 avec le mois de décembre 1991, au cours duquel se sont produits 132 évènements majoritairement torrentiels et géologiques dans des conditions météorologiques similaires.
Au-delà de certains évènements isolés dépassant la période de retour de dix ans, il faut souligner la succession de ces phénomènes sur une courte période, concentrée autour de trois pics d’activité et illustrée sur le territoire de Saint-Sorlin-d’Arves (figure 3). En regardant plus en détail la fin d’année, nous observons que lors du 14-15 novembre, 70 évènements sont recensés et 86 au cours de la période du 11 au 15 décembre, ainsi plus de deux tiers des évènements de ces deux mois ont eu lieu sur ces deux pics évènementiels. Ces derniers se sont produits à la suite d’une accumulation importante de précipitations.
Ainsi, ces deux mois sont atypiques dans l’historique des Alpes du Nord, avec un record d’évènements cumulés sur les mois de novembre et décembre, accompagnés de nombreux dégâts. Avec l’intensification du changement climatique, on peut questionner l’évolution de la fréquence de ce type d’épisode météorologique marquant (oscillations fortes de la limite pluie-neige) et leurs conséquences. Les travaux de recherche sur l’impact des fluctuations climatiques futures trouvent alors un intérêt très opérationnel dans l’appréhension des risques naturels en montagne et pour leur gestion.
// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°47, septembre 2024, à consulter ici ou là :
Ou inscrivez vous
x Annuler