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Retour d’expérience du Syndicat mixte d’aménagement de l’Arve et de ses affluents sur la crue des 14 et 15/11/2023

Publié le 19 décembre 2024

Par Claire Brivet & Cyril Jousse & Anne Lepeu & Florent Charles & Mireille Dubois

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Retour d’expérience du Syndicat mixte d’aménagement de l’Arve et de ses affluents sur la crue des 14 et 15/11/2023
Inondation de la plaine maraîchère en basse vallée de l’Arve © SM3A

Alors qu’historiquement la période hivernale correspondait à l’étiage, la crue de l’Arve des 14 et 15 novembre 2023 est la plus forte crue mesurée depuis la mise en service, il y a environ 120 ans, de la station hydrométrique du Bout du monde à Genève. La crue a fortement mobilisé les personnels du SM3A pendant l’évènement, et les jours suivants.

Prévisions et hydrométrie

Le contexte critique précédant l’évènement est sans doute également révélateur du changement climatique. De gros cumuls de pluie la première quinzaine de novembre (> 150 mm) avec des sols détrempés ont été observés sur l’ensemble du bassin versant, ainsi que des cumuls de neige importants pour la saison au-dessus de 1500 m, une limite pluie-neige supérieure à 3000 m (plus haute qu’en 2015) et enfin, un cumul de pluie sur l’évènement de 50 à 60 mm en 24 h (moins qu’en 2015 : 80 à 90 mm).

La pluie a ruisselé directement sur des sols et un manteau neigeux saturés d’eau, dont la fonte a contribué à augmenter le volume ruisselé. La transposition de la pluie sur le manteau neigeux en lame d’eau, complexe à appréhender, a largement conditionné l’évènement.

Côté mesures, l’Arve (à Passy) et le Giffre (à Marignier) ont apporté chacun un débit équivalent. Sur le Giffre, le débit est un peu moindre qu’en 2015 à Marignier (390 m³/s), alors que sur l’Arve, notamment amont (360 m³/s à Sallanches), le débit est plus important.

« Les principaux débordements ont été observés, d’amont en aval, à Magland (entreprises, quartiers…), Reignier au Pont neuf (habitations), Étrembières (lotissement des Eaux belles), Gaillard (maraichers) »

La mesure de débit à Arthaz s’est révélée être très douteuse et exagérée. La DREAL a confirmé par la suite que la station n’est pas fiableau-delà de 700 m³/s.C’est donc sur la base du débit mesuré à Genève que les périodes de retour ont été estimées, oscillant entre Q30-50 selon EDF et Q200 à Q300 selon l’Office cantonal de l’eau, révélant ainsi l’intérêt de travailler avec la Suisse pour expliquer les différences d’approche hydrologique [1]. Une seule certitude : la crue de l’Arve en aval de Bonneville et jusqu’à Genève est plus importante qu’en 2015.

Les temps de propagation de la crue ont pu être estimés à 12 heures entre Chamonix et Genève, avec un ralentissement de la crue de 1 heure sur le principal espace de divagation de l’Arve en aval de Bonneville.

Génie végétal et berge en grande partie arrachés
Marignier : Génie végétal et berge en grande partie arraché © SM3A

Côté prévisions, celles d'EDF ont été trop basses (surtout à Arthaz) et trop précoces. Les bulletins du SPC affichaient des prévisions du même ordre, mises à jour progressivement en se basant sur l’observation. Les prévisions suisses étaient plus justes 12 heures avant, avec un pas de temps d’actualisation plus long. Il semble que Météo-Alpes publie des prévisions météo plus fines et détaillées par massif. Il est à noter par ailleurs que les courbes de prévision affichent des valeurs médianes et une enveloppe d’incertitude. La tendance est de se focaliser sur la courbe médiane, mais l’incertitude peut s’avérer représenter la réalité. En l’occurrence lors du présent évènement, les valeurs maximales des prévisions étaient proches de la réalité mesurée. Attention toutefois à l’avenir au risque d’augmenter les « fausses alertes » si la référence au maximum modélisé est systématisée.

Enfin, la modélisation du comportement de la fonte de la neige étant encore très imprécise, les prévisions en tête de bassin sont très incertaines.

Le rôle du SM3A pendant la crue

En matière de protection civile, le rôle du SM3A est de conseiller les maires ou le préfet, qui sont les deux autorités investies du pouvoir de police administrative générale. Le SM3A a une responsabilité particulière liée aux systèmes d’endiguement, qui exige une capacité de veille et d’organisation spécifique lors de la montée en crue. Même si le SM3A n’est pas un service local d’annonce de crue, il est le seul sur le bassin versant de l’Arve à disposer d’une vision de prévision de l’évolution de la crue (le SPC se restreint à trois tronçons surveillés). C’est une plus-value importante, mais pas une obligation, dans son rôle de conseil, qu’il convient de manier avec une grande prudence, étant données les très fortes incertitudes.

Sur cet évènement, ont été mobilisés huit agents de terrain du pôle opérationnel (PO), trois agents de terrain du Pôle prévention des inondations (PI, spécifiquement sur les systèmes d'endiguement) remplacés et suppléés par trois agents de la direction des opérations (DO), cinq agents de la DO et le président en tant responsable de la DO.

« Concernant la mise en alerte, des appels et mails ont été passés aux principales communes à risque, en se basant sur les prévisions sous-estimées. De ce fait, le message du SM3A n’a peut-être pas suffisamment « inquiété » les communes. De même, la mobilisation du personnel a été probablement insuffisamment anticipée du fait des prévisions peu alarmantes »

La DO s’est constituée rapidement dans la salle de crise pour mettre en œuvre les différents outils de crise. Des groupes WhatsApp territoriaux se sont mis en place permettant notamment une information descendante sur les prévisions aux agents de terrain. Une ébauche de tableau de synthèse des déplacements des équipes de terrain n’a pas été poursuivie faute de personne dédiée. Globalement, la DO a rencontré des difficultés à correctement répartir les agents sur le terrain, et à faire circuler l’information des déplacements respectifs, ce qui a pu conduire à une redondance d’agents par endroits. De même, il serait utile de partager les informations sur ce qui a été dit aux élus, par qui et quand.

Il faudra ainsi probablement à l’avenir prévoir une organisation plus formelle et une délégation importante de tâches, avec le risque d’une perte de souplesse.

Pour les agents du pôle PI chargés de la surveillance des systèmes d'endiguement, un document a été établi a posteriori recensant la mobilisation de chacun pendant et après l’évènement ainsi que les parcours empruntés pour la surveillance des ouvrages (mise en veille, surveillance pendant l’évènement, les interventions d’urgence engagées et post-crue).

Concernant la mise en alerte, des appels et mails ont été passés aux principales communes à risque, en se basant sur les prévisions sous-estimées. De ce fait, le message du SM3A n’a peut-être pas suffisamment « inquiété » les communes. De même, la mobilisation du personnel a été probablement insuffisamment anticipée du fait des prévisions peu alarmantes (pas de mise en astreinte de l’ensemble du personnel alors que l’évènement s’est avéré être très rare).

Génie végétal et berge en grande partie arrachés
Suivi des crues à Magland © SM3A

Une communication avec les collectivités et notamment les communes s’est mise en place avec des informations délivrées par SMS, appels et plus largement par diffusion de mails aux DGS.

Des retours terrains sur le matériel ont été faits a posteriori, portant notamment sur la bonne charge des équipements sur batterie, les vêtements adéquats et le ravitaillement nécessaire pour la nuit.

En termes d’« hygiène et sécurité », la question de la durée de la « crise », et de la nécessaire implication du SM3A dans le post-crise se pose. Les agents SM3A ne peuvent pas efficacement intervenir 10 ou 12 heures pendant la crue, et rester opérationnels pour intervenir en réparation dès la fin de la crue. Il conviendra de trouver des solutions qui pourraient être : « économiser » des agents au début de la crise, recentrer leur intervention, donner une durée maximale à l’astreinte, constituer des binômes, notamment pour la soirée et la nuit, en mobilisant les agents volontaires dans les autres pôles du SM3A, écrire une procédure relative aux consignes de sécurité, etc.

« Il a été évident lors de cet épisode que les communes ayant bénéficié des formations à la gestion de crise et exercices de mise en œuvre de leur PCS ont eu les bons réflexes ! Nous pouvons citer en particulier Marignier (deux exercices en 2021) et Bonneville (exercice en octobre 2023) »

Il a été évident lors de cet épisode que les communes ayant bénéficié des formations à la gestion de crise et exercices de mise en œuvre de leur PCS ont eu les bons réflexes ! Nous pouvons citer en particulier Marignier (deux exercices en 2021) et Bonneville (exercice en octobre 2023). Cette formation des élus et des services a ainsi prouvé son efficacité, et il faudrait veiller à son déploiement dans les endroits les plus vulnérables. L’exercice interne au SM3A de mai 2023 avait également déjà permis d’améliorer notre organisation de crise.

Bilan post-crue des dégâts

Les principaux débordements ont été observés, d’amont en aval, à Magland (entreprises, quartiers…), Reignier au Pont neuf (habitations), Étrembières (lotissement des Eaux belles), Gaillard (maraichers).

Dans les jours suivant l’évènement, le relevé des laisses de crue a été effectué sur les principaux secteurs avec une bonne réactivité collective. Après marquage des points par les agents SM3A, des prestataires extérieurs ont fait le tour des points pour les relevés topographiques précis. Malgré la bonne réactivité, certains points se sont retrouvés sous la neige… Le relevé des points a d’abord été fait sur papier, puis avec l’application Q Field une fois le paramétrage achevé par le référent SIG/bases de données du SM3A. Il reste toutefois des marges d’optimisation pour gagner du temps à l’avenir, notamment en structurant la base de données.

Le REX a montré qu’il convient de choisir des points dégagés, car certains ont une faible réception satellite et ont nécessité un décalage sur le terrain par les géomètres. Il est intéressant de constituer des binômes pour faciliter le relevé des données (Q field, bombage, notes, etc.). Quant à l’utilité du drone, elle n’est plus à démontrer. L’attention doit être portée sur les conditions de sécurité, le recours à des prestataires pour le survol des secteurs urbains étant à privilégier par exemple.

Génie végétal et berge en grande partie arrachés
Laisse de crue de l’Arve © SM3A

Parallèlement, le SM3A a recensé les dégâts, notamment sur les digues. L'ensemble des ouvrages « digues » sous gestion du SM3A ont résisté à l’évènement et protégé ainsi les enjeux et les populations dans la limite leurs capacités hydrauliques. En revanche, certains ouvrages ont subi des désordres plus ou moins conséquents. Les désordres les plus importants sont observés soit sur des ouvrages qui avaient précédemment été endommagés par des crues de 2022-23, soit sur des ouvrages « digues » anciens.

« Au-delà des seuls dégâts relevés sur les digues, le nombre total des désordres identifiés s’élèvent à plus de 200 pour un montant total estimé de travaux de près de 3 M€ HT »

Les désordres relevés sont en majorité la conséquence d’érosion externe en pied ayant entrainé un effondrement partiel du parement. Certaines techniques végétales récentes ont également été touchées, rappelant leur vulnérabilité pendant les trois/quatre premières années après la construction.

Quatre ouvrages ont nécessité des travaux d’urgence dans les trois mois qui ont suivi l’évènement. Enfin, l’évènement a nécessité un entretien exceptionnel de la végétation sur les ouvrages.

Au-delà des seuls dégâts relevés sur les digues, le nombre total des désordres identifiés s’élèvent à plus de 200 pour un montant total estimé de travaux de près de 3 M€ HT, qui ont fait l’objet d’une demande de financement au titre du fonds de solidarité suite aux dommages.

 

[1] Cette différence conséquente de valeurs données par ces deux organismes s’explique par le fait que les méthodes statistiques utilisées pour les déterminer diffèrent fondamentalement. L’organisme suisse associe les débits mesurés aux périodes de retour observées et extrapole les occurrences pour les débits extrêmes non observés. EDF crée un modèle à partir des données observées (débits mais aussi températures et précipitations). Ils font ensuite tourner le modèle pour un grand nombre de pluies aléatoires. Une étude statistique est enfin réalisée pour associer aux débits de pointe une période de retour.

 

// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°47, septembre 2024, à consulter ici ou là :

 



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