Mémoire & retour d’expérience | Crue / Inondation
Catastrophes naturelles | Gestion de crise
Lorsque le débit liquide d’un torrent devient supérieur à un certain seuil, l’eau mobilise les sédiments, on parle alors de charriage hyperconcentré. Lors de ce phénomène, toutes les tailles de cailloux sont mises en mouvement. C’est à peu près ce qui s’est déroulé sur le torrent de Monfort en décembre 2021 et qui a occasionné des débordements sur son cône de déjection et provoqué d’importants dégâts sur la gare basse du funiculaire de Saint Hilaire du Touvet. Une conjonction de facteurs est à l’origine du phénomène à savoir, un stock important de matériaux disponible, un épisode pluvieux extrême aggravé par les fontes nivales, un contexte torrentiel et un torrent extrêmement contraint dont la section hydraulique ne permet pas d’accueillir une crue d’une telle magnitude.
Un stock important de matériaux disponible
Il convient de préciser qu’en avril 2021, un éboulement avait eu lieu au niveau de la cascade de l’Oule qui surplombe le site du funiculaire. Cet éboulement d’un volume estimé à 5000 m³ selon le service RTM (Restauration en Territoire de Montagne) de l’Isère, a généré des stocks de matériaux « mobilisable » de l’ordre de 3 000 m³ en tête de ravin. Cependant en l’absence de donnés LIDAR (Télédétection par laser) suffisamment précise avant l’évènement, ces estimations restent « à dire d’expert ». Suite à cet effondrement, un certain nombre de travaux avaient été mis en œuvre par le SYMBHI tel que le curage de 1 500 m³ de matériaux de granulométrie inférieur à 300 mm en amont de la gare, qui s’étaient déjà remobilisés lors d’évènement pluvieux avant l’été 2021, des opérations sur la végétation afin de faciliter le transit sédimentaire vers l’aval du torrent et la mise en place d’un suivi des stocks de matériaux disponible par des levés topographiques par drone. Il est vraisemblable qu’en l’absence d’effondrement, la crue aurait été d’une intensité beaucoup plus limitée.
Les données, de Météo France, donnent un cumul de 129 mm en 48h pour les seules précipitations mesurées sur le radar (soit un cumul supérieur à la pluie décennale sur 48h). Cette pluie intense s’est accompagnée d’une fonte très rapide d’un important manteau neigeux représentant 47mm d’équivalent eau. Il en résulte une crue longue (de l’ordre de 10 heures) et soutenue.
Contexte torrentiel défavorable
Le bassin versant du torrent de Montfort remonte sur le Plateau des Petites Roches. La surface drainée en amont est collectée sur le plateau et s’écoule au sein de la cascade de l’Oule, constituant ainsi des apports liquides importants. Outre le facteur aggravant que peut représenter la cascade lors d’épisode pluvieux intense, le torrent de Montfort présente en aval de cette cascade une pente très forte comprise entre 40 et 80 %, elle diminue ensuite entre 30 et 40 % en aval immédiat de l’éboulement pour finir entre 5 à 10 % lors de son arrivée à la gare du funiculaire puis sur les tronçons inférieurs, constituant ainsi des zones privilégiées de dépôts des matériaux en provenance de l’amont. De plus, le torrent traverse successivement 2 arches limitantes en partie amont et le pont de la RD1090.
Anticipation et réactivité
Depuis l’éboulement qui avait eu lieu au niveau de la cascade l’Oule en avril 2021, le torrent de Montfort faisait l’objet d’une surveillance toute particulière puisqu’il présentait un risque potentiel d’exhaussement du lit en raison de l’important stock de matériaux disponible. On entend par surveillance, des visites systématiques avant et après le passage d’épisodes pluvieux importants, afin d’identifier la présence d’éventuels désordres (arbres couchés, souches déracinées, déchets végétaux, …) dans le lit du torrent, étant de nature à empêcher le libre écoulement de l’eau. Une surveillance visuelle et instrumentale du mouvement des matériaux (identification des zones de dépôt et d’incision) était également réalisée sur l’ensemble du linéaire entre la cascade de l’Oule et la plage de dépôts de l’ASA.
« C’est une de ces visites qui m’a conduit sur le site du funiculaire le matin du 29 décembre 2021, il y avait eu d’importantes précipitations la nuit précédente et il était fort probable que cela dure » évoque Franck Strizzolo, technicien de rivière sur l’Unité Territoriale du Symbhi.
« Dès mon arrivée, j’ai remarqué que le niveau d’eau était anormalement élevé, le fond du lit s’était exhaussé et l’on pouvait entendre que le torrent charriait énormément de matériaux. Le premier point noir était le pont de la RD 1090 sous lequel il ne restait plus qu’une trentaine de centimètre de tirant d’air et cela ne cessait de diminuer. En remontant le tronçon, on remarquait clairement les dépôts de matériaux qui s’étaient créés et qui continuaient de grossir à vue d’œil.
Connaissant la nature « explosive » des torrents qui descendent de la Chartreuse sur le territoire du Grésivaudan et étant conscient de l’énorme volume de matériaux disponibles en amont sous la cascade (+/- 5000 m³), j’ai tout de suite pressenti qu’il fallait se tenir prêt à intervenir.
C’est pourquoi j’ai immédiatement contacté notre prestataire avec lequel nous avons un accord cadre, Le Noyer Vert, afin qu’il se tiennent prêt « au cas où ». Gardons en tête que nous sommes entre Noël et le jour de l’An, en pleine période de congés scolaire, et que mobiliser des moyens techniques et humains pendant cette période peut-être un vrai casse-tête. Heureusement, celui-ci était implanté dans la vallée.
Photo de l'ensemble des acteurs et des moyens mobilisés au lendemain de la crue © so-dupontrenoux
J’ai ensuite contacté mon directeur (Daniel Verdeil, directeur délégué du SYMBHI) pour l’informer qu’il y avait de gros risques de débordements au niveau du pont de la RD1090.
Quelques minutes plus tard, la décision est prise de faire venir sur site des pelles hydrauliques de différents tonnages, des camions pour évacuer les matériaux, des équipes de bucherons équipés de tronçonneuse. Progressivement, jusqu’à 10 pelles mécaniques et 6 camions seront mobilisés pour maintenir le torrent dans son lit.
Parallèlement, Monsieur Philippe Lorimier (Maire de Crolles), présent sur le site, décide de déclencher le PCS (Plan communal de sauvegarde) de la commune de Crolles.
Aperçu des divagations du torrent et des enjeux préservés à l'aval de la gare du funiculaire © so-dupontrenoux
La première difficulté rencontrée par le SYMBHI concerne les accès au parking de la gare du funiculaire car à cette période les accès sont verrouillés à l’aide de cadenas. Il s’agit donc dans un premier temps de trouver un interlocuteur à la régie du funiculaire afin de permettre l’accès des camions et des portes chars pour pouvoir décharger les pelles hydrauliques. Les travaux entrepris par le SYMBHI avant l’été avaient permis de recueillir des contacts importants qui seront très utiles pendant toute la durée de l’évènement.
Dès midi, l’engravement en amont du pont de la RD 1090 est déjà constaté et les premiers curages sont réalisés pour éviter les débordements. Rapidement, la galerie sous la gare du funiculaire s’obstrue progressivement ; ici encore des curages continus sont nécessaires pour limiter les dépôts en amont.
Malgré les curages en continu, l’obstruction de la galerie sous la gare du funiculaire ne peut être évitée et les débordements se produisent au droit de celle-ci une première fois vers 14h00 puis définitivement vers 15h30.
Entre temps les communes de Lumbin et Crolles ont mobilisées des équipes afin d’alerter les riverains pouvant être impactés par les débordements en aval de la RD 1090 dans un premier temps, puis rapidement l’ensemble des habitants de la rive droite et gauche de la gare du funiculaire.
Vers 16h00, des écoulements provenant des bois en rive droite traduise la fermeture partielle des arches sous les rails du funiculaire en partie haute du torrent.
Aux alentours de 19h00, l’obstruction complète des arches fait basculer l’écoulement en rive droite du torrent, celui-ci divague alors le long des rails du funiculaire en générant des phénomènes d’érosion importants contribuant ainsi au transport de matériaux supplémentaire et à l’engravement de la gare du Funiculaire. Les réseaux électriques (qui alimentent notamment le plateau des Petites Roches), de fibres optiques et les conduites d’assainissement présents sur le tracé seront aussi fortement endommagés.
Tout au long de l’évènement, les entreprises curent le lit et constituent des merlons visant à contenir le torrent dans son lit et à éviter que les ouvrages routiers ne s’obstruent. En parallèle, les pompiers utilisent les matériaux évacués avec les engins du SYMBHI et de la commune de Crolles pour orienter les débordements sur des voieries qui les évacuent dans la plaine : un parcours à moindre dommage est improvisé qui permettra de limiter les dommages sur les habitations.
Du renfort humain et matériel est sollicité pour venir soutenir les efforts de gestion des débordements (deux pelleteuses supplémentaires apportées par une autre entreprise).
4 zones de débordements sont principalement concernées.
A partir de 22h, le flux commence à décroitre en intensité, et ce n’est qu’à 2h du matin que les écoulements seront maitrisés.
En tout, l’évènement a charrié entre près de 15 000 m³ de matériaux. Les actions engagées par tous les acteurs ont permis de préserver les vies humaines et les habitations.
Ce n’est pas fini
Pendant plus d’un mois la gestion post-catastrophe est rythmée par des réunions et des travaux. Des travaux « titanesques » sont effectués en un temps record sur les plus de 600 m de torrent impactés par les événements avec l’objectif de remettre le torrent dans son lit d’origine. Un seuil de correction est fermé à l’aide de blocs afin de créer une zone de dépôt pour les matériaux au cas où un nouvel événement surviendrait. Des accès à tous les seuils de correction sont également réalisés pour pouvoir intervenir rapidement en cas de nouvel évènement. Près de 15000 m³ de matériaux sont curés afin de remettre le torrent dans son lit et reconstituer le volume disponible des plages de dépôt. Durant toute la durée des interventions post-crue, des dialogues seront menés entre les propriétaires riverains, les communes, les services de l’Etat, la régie du funiculaire, les gestionnaires réseaux, les entreprises, le RTM et le SYMBHI afin de conduire ces travaux en respectant au mieux les « bonnes pratiques » d’intervention en milieux naturel. La plage de dépôt située à l’aval a été également curé par l’association syndicale autorisé (ASA) gestionnaire de l’entretien courant de l’ouvrage. Le Département, gestionnaire de l’espace naturel sensible (ENS) du marais de Montfort a quant à lui œuvré afin de collecter l’énorme quantités de déchets flottants en tous genres qui s’étaient accumulés sur le site.
De nouveaux levés topographiques par lidar sont collectés (ils avaient débuté suite à l’éboulement d’avril 2021), ils sont accompagnés de prises de vue photos. Parallèlement, l’agence RTM Alpes du Nord a rédigé un avis détaillé sur l’évènement en précisant le déroulement et les impacts du phénomène. Un comité de pilotage s'est regroupé en mairie de Lumbin, les principaux acteurs ayant participé à la gestion de crise ou étant concernés directement par l’évènement sont présents: la Communauté de communes du Grésivaudan (CCG), les représentants et élus des communes, le Service départemental d’incendie et de secours de l’Isère (SDIS 38), la régie des remontées mécanique du Plateau de petites roches, la Direction départementale des territoires de l’Isère – Service sécurité et risques ( DDT-SSR de Grenoble) et le RTM. L’objectif de cette rencontre était de recueillir les éléments notables de chaque acteur sur sa gestion de crise, définir la feuille de route et le calendrier de la sortie de crise.
Une étude sur torrent de Montfort pilotée par le Symbhi est en cours ; le RTM est mandaté pour comparer différents scénarios d’aménagement et définir celui qui permettra de protéger efficacement les personnes et les enjeux économiques et touristiques. Les résultats de cette étude seront livrés courant 2023.
Le Symbhi dispose d’un système d’astreinte permettant de contacter un agent 7j sur 7 et 24h sur 24. L’évènement s’étant produit durant la journée, il a été traité par le technicien du SYMBHI en charge du secteur. L’agent d’astreinte est intervenu sur d’autres secteurs du Grésivaudan qui ont contacté l’astreinte, il sera mobilisé ainsi que 4 autres agents du SYMBHI, afin d’apporter un soutien précieux qui sera déterminant dans la gestion de la crise.
La surveillance du site a permis d’anticiper la survenue de la crise et de mobiliser les entreprises à temps. Grâce à leur professionnalisme et leur implication (les employés étaient en congés et sont revenus rapidement) les débordements ont pu être circonscrits et les dommages limités pour l’essentiel au funiculaire.
Les différents retours d’expérience auront permis d’identifier des axes d’amélioration dans la gestion de ces épisodes. Il sera décidé d’ajouter des agents d’astreinte supplémentaires « en veille » lorsque des conditions climatiques défavorables sont annoncées. Un travail d’identification et de cartographie de l’ensemble des points noirs connus sur les cours d’eau gérés par le SYMBHI doit être réalisé pour permettre aux agents d’astreinte qui ne connaissent pas le secteur de gagner en réactivité lors de la prise de décision. Des marchés de travaux d’urgence sont en préparation pour disposer d’entreprises mobilisables pour chaque secteur géographique du syndicat.
Un retour d’expérience réalisé à Crolles en mai 2022, à l’occasion d’une formation de gestion de crise coorganisée par l’Irma et le Symbhi en présence de la commune de Crolles et du SDIS 38 fait ressortir la nécessité d’avoir un Plan Communal de Sauvegarde (PCS) opérationnel et à jour. En effet, être entraîné à la gestion de crise a facilité la conduite des opérations lors de l’évènement et permet ainsi la préservation des vies humaines et la limitation des impacts sur les biens. Ces sessions de formation et de sensibilisation à la gestion de crise sont organisées dans le cadre du Plan d’action et de prévention des inondations (PAPI) des Affluents de l’Isère en Grésivaudan.
Comme l’affirme le Président du SYMBHI, Fabien Mulyk, « la gestion de crise ne s’improvise pas : il est nécessaire que tous les acteurs, commune, SYMBHI et maintenant EPCI, se soient organisés et entraînés pour intervenir efficacement avec l’aide des Pompiers et des forces de l’ordre, par nature mieux préparés à ce type d’évènement ».
M. le Maire m’a téléphoné à 9h du matin, je me suis alors rendu sur place. Rapidement nous avons compris le caractère exceptionnel de l’événement et avons déclenché notre PCS.
Un poste de commandement a été mis en place en mairie et des moyens humains et technique ont été mobilisés.
Il fallait :
J’ai passé la journée et une partie de la nuit sur place, auprès de la population et des services, mon rôle étant de rassurer et d’informer les administrés et d’être les yeux du poste de commandement. Le pire a été d’ailleurs éviter grâce au travail des services, notamment du SYMBHI. C’est dans ces moments-là que l’on voit l’importance d’avoir une équipe informée, formée et opérationnelle dans la gestion de crise. Car la réactivité fût essentielle ce 29 décembre.
Le 29 décembre 2021, la commune de Lumbin subissait une crue à charriage majeure du ruisseau de Montfort qui endommageait fortement la gare basse du funiculaire, et une dizaine d’habitations. L’ampleur du phénomène et les importants dégâts constatés marqueront, sans aucun doute, les esprits de ceux qui étaient présents.
Face aux pluies abondantes du matin, j’avais demandé aux agents municipaux de surveiller les deux cours d’eau qui traversent la commune et de me tenir informé dans les plus brefs délais. Mon rôle, dans ce moment critique, a été d’être présent sur le terrain avec la population et d’assurer aussi la coordination des moyens déployés. Je tiens d’ailleurs à remercier les services du SYMBHI et de l’Etat avec le RTM pour la mise en œuvre immédiate d’engins de déblaiement, évitant ainsi une catastrophe majeure. Cet évènement climatique risque de se reproduire…
L’objectif des études et futurs travaux sera de protéger les populations vivant autour mais aussi de les éduquer à ce risque majeur en alliant pragmatisme et respect du cadre légal.
Julien Lorentz, Président de la régie exploitant le funiculaire, adjoint au maire de la commune du Plateau des Petites Roches
Suite à l’appel de Crolles, je suis arrivé sur site vers midi. Devant mon impuissance face aux éléments, mon rôle a été de préserver au mieux le bâtiment de la gare, inaugurée en 1924 et que nous venions de finir de rénover en 2020.
En milieu d’après-midi, malgré la lutte sans relâche des pelles mises en place par les entreprises partenaires du Symbhi, l’eau est rentrée dans la gare. Très rapidement l’eau est montée et j’ai été contraint d’ouvrir le volet métallique situé à l’entrée de la gare pour laisser passer l’eau. J’ai vu passer tout le mobilier de la gare, emporté par une lame d’eau d’1 m d’épaisseur, impuissant.
Ce fut une expérience dure à vivre, ayant conscience de l’importance du patrimoine du funiculaire et toutes les personnes qui s’étaient succédées depuis presque un siècle pour faire vivre le funiculaire de Saint Hilaire.
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