Avec les nouvelles technologies (Cell-Broadcast (CB) et LB-SMS) attendues en France fin juin 2022, il sera désormais possible d’alerter les individus présents dans une zone à risque. Cette zone sera ajustable selon la nature du risque (inondation, séisme, feux…) et son emprise spatiale. Mais pourra-t-on vraiment alerter 100% des présents, et est-on en mesure d’estimer le potentiel d’alertabilité sur l’ensemble des communes en France ?
La méthode d’évaluation repose sur le croisement de données spatiales à l’aide d’un Système d’information géographique : la localisation des individus sur leur lieu de résidence (données carroyées de l’INSEE à une maille de 200m de côté) et les couvertures des réseaux de télécommunication de 2021 (ARCEP). Pour chaque commune française, trois taux ont été calculés :
Les premières estimations confirment un potentiel de performance spatiale considérable (Figure 1) : en métropole, 94,2% de la population résidente pourrait être alertée par LB-SMS et 81,3% par CB. Les chiffres sont aussi remarquables dans les territoires ultramarins avec plus de 90% des résidents alertables par LB-SMS et par CB à La Réunion et en Martinique. La très bonne performance du LB-SMS concerne une très grande majorité de communes : plus de 90% des communes françaises ont un taux d’alertabilité supérieur à 90% par LB-SMS. A contrario, la performance du CB est plus contrastée : seulement 33% des communes ont des taux d’alertabilité supérieurs à 90%, et 41% des communes ont des taux inférieurs à 50%.
La promesse d’une alertabilité plus homogène par LBAS (Location-Based Alerting System = systèmes d’alerte nationaux basés sur la localisation des individus) n’est que partiellement tenue. L’indice de Gini qui mesure le niveau d’hétérogénéité des taux de performance des 34 733 communes, et qui peut varier entre 0 (homogénéité parfaite) et 1 (très forte hétérogénéité), est de 0,02 pour le LB-SMS. Autrement dit, les écarts d’alertabilité entre les communes sont très faibles pour le LB-SMS. En revanche, l’hétérogénéité des résultats est importante pour le CB, puisque l’indice de Gini est de 0,37.
La figure 2 illustre la dispersion des taux d’alertabilité entre les solutions : cette figure illustre des différentiels d’alertabilité entre les types d’aire urbaine à laquelle appartiennent les communes. Pour le LB-SMS, les résultats varient peu : 92,8% des individus résidant dans des communes rurales sont alertables, contre 95,2% des individus résidant dans de grandes aires urbaines (plus de 500 000 habitants), soit un différentiel de 2,4% entre ces deux catégories. A contrario, les variations sont plus fortes pour le CB : 58,6% des individus résidant dans des communes rurales sont alertables, contre 87,4% pour les communes appartenant à de grandes aires urbaines (soit un différentiel de 28,8%). Ainsi, les fortes inégalités spatiales qui prévalent aujourd’hui avec les sirènes d’État seraient certes réduites, mais pas totalement effacées.
Pour expliquer ces différences, il faut se pencher sur l’étude des territoires où les taux d’alertabilité sont plus faibles. Indépendamment des solutions retenues, l’alertabilité des communes diminue lorsque la dispersion spatiale des bâtis augmente, ou lorsque le taux de couvert forestier augmente. Les communes ayant une faible alertabilité par LB-SMS sont relativement peu nombreuses : 242 communes ont un taux d’alertabilité inférieur à 50%. Il s’agit en majorité de communes rurales isolées, faiblement peuplées (230 habitants en moyenne) et éparpillées le long de la diagonale du vide (Figure 1).
Les fragilités spatiales sont très nombreuses lorsque l’on considère l’alertabilité par CB : 14 265 communes ont une alertabilité par CB inférieure à 50% de leur population. Il s’agit de communes relativement peu peuplées (585 habitants en moyenne), bien que certaines d’entre elles soient des centres urbains de plus de 20 000 habitants. L’écart d’alertabilité entre le LB-SMS et le CB s’explique par le fait que les réseaux 2G et 3G couvrent encore à ce jour une importante part de la population française dans les zones dénuées de 4G ou de 5G (sur lesquelles le CB sera déployé). D’une manière générale, la répartition spatiale des communes faiblement alertables par le CB délaisse les grands centres urbains, les principaux couloirs de communication et les littoraux (Figure 1).
Figure 3. Cartographie de l'indice localisé de Moran de la performance du CB à l'échelle communale en France métropolitaine (AU = Aire Urbaine) © Esteban Bopp
Ainsi, il existe une certaine structure spatiale dans l’alertabilité par CB en France métropolitaine. La Figure 3 cartographie l’indice localisé de Moran qui permet de faire émerger des clusters spatiaux de bonne et de faible performance du CB. La méthode repose sur une comparaison des résultats de chaque commune prise une à une, avec les résultats des communes environnantes afin de vérifier si les communes spatialement proches ont des taux d’alertabilité davantage similaires que les communes spatialement éloignées.
Avec cette méthode, la Figure 3 illustre comment les communes rurales de la diagonale du vide sont en majorité des communes où la performance du CB est faible, à l’inverse des façades littorales et des grands pôles urbains. Ce constat global n’empêche pas que certaines communes à la périphérie des grandes aires urbaines aient des taux d’alertabilité par CB inférieur à 25% de leur population (Figure 1, 2 et 3).
La lecture des résultats nous donne à penser que le CB pourrait être priorisé dans les zones urbaines denses tandis que le LB-SMS pourrait être privilégié dans le reste du territoire, y compris dans les zones rurales et isolées. De plus, le LB-SMS est soumis au risque de saturation des réseaux, ce qui le rend vulnérable dans les territoires denses. Les territoires où le CB et le LB-SMS ont un potentiel de performance faible pourraient faire l’objet d’une politique d’aide à l’équipement (en y déployant des moyens complémentaires comme les sirènes, les automates d’appel téléphonique, le porte-à-porte, etc.) afin de réduire leur vulnérabilité. Par ailleurs, l’aspect territorial n’est pas le seul critère à prendre en compte dans le choix des outils. D’autres aspects comme la nature du risque, sa cinétique, son emprise spatiale, etc. peuvent également jouer sur le choix de l’outil à activer (Bopp, 2021).
Ainsi, le déploiement de FR-Alert fin juin 2022 (qui va combiner les sirènes, le CB et les LB-SMS) ne doit pas remettre en cause le concept d’alerte multicanale. Utiliser différents vecteurs, parfois complémentaires les uns par rapport aux autres, améliore la robustesse des alertes et le nombre d’individus atteints. En cela, le CAP (Protocole d’alerte commun) est un excellent moyen d’interfacer différents outils et d’harmoniser la diffusion des alertes sur différents canaux. Il serait envisageable d’y associer d’autres paramètres, temporels, spatiaux, sociaux et d’état des réseaux, en vue d’optimiser la diffusion des alertes sur les bons canaux et à la bonne échelle (Figure 4). En cas de danger immédiat avéré (tsunami, rupture de barrage, crue éclair, etc.), des scénarios d’alerte automatisés (sans validation humaine) pourraient être anticipés.
Figure 4. Proposition d’un schéma conceptuel pour la future plateforme FR-ALERT © Douvinet et al., 2021
Les recherches sur la territorialisation de l’alerte et de la gestion de crise doivent être poursuivies, une fois les nouvelles technologies d’alerte opérationnelles par : des tests sur l’utilisation de ces outils sur des territoires pilotes et, des études sur les comportements adoptés par les citoyens face à ces nouvelles alertes. Une réflexion doit également être portée sur les données multi-sources produites en temps réel sur les territoires. Ces données sont difficilement appréhendées par les acteurs locaux aujourd’hui, et gagneraient à être automatiquement intégrées à la future plateforme afin d’améliorer la précision des alertes et des actions de sauvegarde.
Références
Bopp E. 2021. Evaluation et spatialisation du potentiel offert par les moyens d’alerte centrés sur la localisation des individus. Expérimentation à différentes échelles en France. Thèse de géographie, Avignon Université, 344p.
Douvinet J., Serra-Llobet A., Bopp E., Kondolf M. 2021. Are sirens effective tools to alert the population in France?Nat. Hazards Earth Syst. Sci. (21).
Vogel J-P. 2017. Rapport sur le système d’alerte et d’information des populations (SAIP). Rapport sénatorial n°595, 48p.
/// Cet article Web est issu de la revue Risques Infos, dont le 1er N° hors-série est consacré à l'Alerte des populations, avec un zoom sur le futur dispositif national d'alerte multi-canal FR-Alert
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