Mémoire & retour d’expérience | Crue / Inondation
A Goudet (Haute-Loire), il a commencé à pleuvoir fort aux alentours de 18h00 le 13 juin 2017. Une heure après les cours d'eau débordaient. Les personnes présentes dans l'hôtel de la Loire se sont vite réfugiées dans les étages après avoir essayé de sauver quelques meubles et objets. L'hôtel était cerné par plus d'un mètre d'eau côté rue, en raison du débordement du ruisseau Blanc très à l'écart de son lit normal, et par plusieurs mètres d'eau côté parking, en raison du débordement du ruisseau de l'Holme. Compte tenu des hauteurs d'eau et des vitesses importantes, il a dû être très rapidement inenvisageable (quelques dizaines de minutes après avoir compris qu'il se passait quelque chose d'anormal ?) de s'aventurer à l'extérieur de l'hôtel. La seule solution consistait donc à se réfugier dans les étages le plus rapidement possible. La voie d'accès au parking de l'hôtel a finalement été complètement détruite, de même que le parking lui-même.
Cette crue exceptionnelle qui s'est produite à Goudet (voir fiche ici) est l'occasion de revenir sur certaines situations d'inondation que des habitants nous ont relatées ou sur des éléments constatés sur le terrain au cours de reportages photographiques. La question de la rapidité de la crue revient sans cesse dans les ressentis et les discours sur l'inondation. Or, force est de constater que le terme « rapide » ne veut pas dire grand chose tant il cache des situations différentes : avoir 1 heure, 2 heures, 5 heures ou 8 heures entre le début de la pluie et le début des débordements, ce n'est pas la même chose... avoir 1 heure ou 6 heures entre les premiers débordements et le pic de la crue ce n'est pas la même chose non plus... Or, quasiment toutes les situations d'inondation qui nous ont été relatées ont été vécues comme très rapides. Si une minorité d'entre elles l'étaient effectivement, beaucoup d'autres auraient pu permettre de prendre des mesures plus adaptées si la préparation à l'événement avait été autre et si la conscience que cet événement pouvait s'aggraver sérieusement avait été pleinement acquise. Retour donc sur quelques événements marquants des dernières années, en Auvergne-Rhône-Alpes et ailleurs.
Dans cette habitation de Saint-Goire-en-Valdaine (Isère), une personne était seul au moment de l'inondation le 6 juin 2002. Elle a commencé à monter à l'étage des meubles pour les sauver, probablement trop longtemps. Elle s'est retrouvé coincé à l'étage où la hauteur d'eau a atteint 50 cm (3 mètres en tout dans la maison) et elle a fini par être hélitreuillée par les secours. La propriétaire, qui était dans une maison voisine pendant la crue nous a dit « on ne voyait plus que le haut de la maison. Cela avait une force énorme. C’est quelque chose qu’on ne peut pas décrire. C’est une force qu’on n’imagine même pas. J’ai crue que la maison allait partir ». Seul le garage, dont on voit les restes sur la photo, a finalement été emporté. Compte tenu des hauteurs d'eau et de la puissance du courant (un barrage de bois morts de 6 mètres de haut s'est créé au nivau du pont juste à côté), se mettre à l'abri à l'étage ne suffisait pas ici. Et il aurait probablement fallu fuir tout de suite plutôt que d'essayer de sauver quelques meubles. Facile à dire cependant à postériori...
Dans le quartier des Chenevières à Domène, 70 habitations ont été fortement endommagées par le torrent du Domeynon en août 2005 (1,5 mètre d'eau, de cailloux et de boue dans le lotissement). La grande majorité d'entre elles avaient un étage refuge mais d'autres non, et certains appartements étaient en rez-de-chaussées. Aucun bâtiment n'a été détruit même si les maisons les plus proches de la rupture de la digue ont été fortement endommagées. Vue les hauteurs d'eau, il était indispensable pour les personnes en rez-de-chaussées de quitter leur habitation. Pour les autres, il était possible de monter à l'étage dans une relative sécurité mais le plus prudent était malgré tout d'évacuer et de se mettre en sécurité hors du lotissement. Cela n'a pas toujours été fait ou trop tard, car personne n'avait conscience du risque. Or, le « timming » de l'inondation aurait pu permettre à la fois de mettre en sécurité ses biens (meubles, voitures..) puis de partir. Le torrent a en effet commencé à grossir vers 17 heures le lundi 22. Des habitants ont été prévenus de possibles débordements mais n'y ont pas cru et sont partis se coucher (voir l'interview ici). A 23 heures, l'eau coulait légèrement dans les allées et à 23h30 la hauteur était déjà de 30 cm. C'était alors « foutu » comme l'ont dit certains habitants. A partir de là, tout a été très vite, et le pic de crue a eu lieu dans la nuit entre minuit et quatre heure du matin. Il s'était malgré tout écoulé 6 heures entre les premiers avertissements et les premiers débordements.
Dans les communes amont, la pente du torrent du Domeynon était plus importante et le torrent s'écoulait donc avait plus de force le 22 août 2005. Même si cette maison située trop près du cours d'eau tenait encore debout après la crue (l'angle endommagé a continué de s'écrouler bien après la fin de la crue), il était plus prudent d'évacuer l'habitation plutôt que de monter à l'étage.
Il en va de même pour ce bâtiment, touché par la crue du torrent de l'Armancette le 22 août 2005. Certes il y avait un étage, mais le plus prudent était malgré tout de quitter les lieux compte tenu de la puissance des différentes vagues formées par la crue du torrent qui ont pour certaines transporté des blocs de plusieurs dizaines de tonnes (on appelle ces vagues des « bouffées de lave torrentielle »). D'autant que la fuite était possible lors de cet événement, puisque malgré la rapidité de ces vagues quand elles survenaient, elles étaient malgré tout suffisamment espacées dans le temps pour permettre de se mettre à l'abri. La première, qui a averti tout le monde, a « simplement » poser quelques cailloux sur le pont et la route. Ce qui n'était pas le cas des suivantes (voir un film sur le sujet ici).
Bâtiment de l'ancienne DDE des Contamines-Montjoie ravagé par la crue du torrent d'Armancette le 22 août 2005
A Saint-Donat-sur-l'Herbasse, la rue principale et commerçante de la ville s'est transformée en torrent le 6 septembre 2008 suite au débordement du ruisseau du Merdaret. De nombreux commerces n'ont pas été évacués à temps ce qui a mis en réel danger leurs occupants. Pas d'étage refuge pour la plupart, aucune sortie possible et 1,5 mètre d'eau dans la rue avec un courant très fort. Si le pic de crue a été brutal, le patron du salon de coiffure interrogé dans ce film parle d'une augmentation du niveau d'eau d'un mètre en une demi minute, des signes annonciateurs de l'événement ont été malgré tout perceptibles : quelques centimtètres d'eau dans la rue dans un premier temps, puis cette eau qui devient boueuse. Le temps de réaliser et de finir ce qu'elles étaient en train de faire, les personnes présentes dans le salon de coiffure se sont retrouvées piegées, comme dans d'autres commerces.
Ces inondations sont intervenues après des mois de juillet et août très pluvieux ainsi que deux gros orages qui avaient déjà causé quelques dégâts juste avant l'événement du 6 septembre. Les plus gros débordements ont eu lieu le samedi vers midi mais dès le matin des désordres s'observaient un peu partout dans le bassin versant.
A l'Arbresle, les pluies du 1er novembre 2008 sont arrivées sur des sols complètement saturés, ce qui explique que les premiers débordements aient eu lieu très rapidement, à 19h00 du soir, environ deux heures après le début des précipitations. Mais l'inondation a commencé à devenir sérieuse « seulement » à partir de 23h, ce qui laissait potentiellement plusieurs heures pour mettre en sécurité quelques biens et quitter son habitation. Mais beaucoup d'habitants n'ont pas entendu l'alerte ou n'y ont pas cru (voir le film ici). A partir de 23h00 et jusqu'au pic de la crue vers 2h30 du matin, la situation est devenue catastrophique et beaucoup d'habitants se sont retrouvés piégés chez eux. Si des gens ont dû sortir à la nage ou être évacués par les sapeurs pompiers et les zodiacs, c'est aussi en partie parce que trop d'entre eux n'ont, ici aussi, pas cru que la situation pouvait empirer et n'ont donc pas évacué leur logement assez tôt. Dans certains quartiers, des habitations ont été inondées jusqu'au premier étage. Inutile donc de s'y réfugier, il fallait fuir le plus tôt possible.
Dans le Var, les précipitations ont débuté à 10h00 le 15 juin 2010, et les écoulements sont devenus de plus en plus violents dans les rivières à partir de 16h00 environ. La forte concentration des pluies a duré jusqu'à 19h et les débordements ont continué dans la nuit. Ces inondations nous ont montré, comme la crue du Domeynon à Saint Martin d'Uriage citée plus haut, qu'étages ou pas, les habitations trop près des cours d'eau doivent être évacuées le plut tôt possible. A Taradeau, deux maisons ont été emportées par la crue, une autre a été détruite à moitié. A Rebouillon (commune de Chateaudouble), une autre maison a été emportée causant plusieurs victimes, et une autre encore s'est écroulée dans le lit de la rivière à la Motte suite à de très fortes érosions de berges. Des phénomènes que l'on a aussi vu lors des inondations dans les Pyrénées atlantiques en 2013.
Le 1er août 2014, une lave torrentielle s'est produite entre 20h00 et 20h30 dans le torrent du Saint-Antoine à Modane, soit 2 heures après le début de l'orage qui a touché le bassin versant (début de l'orage vers 18h00). Deux personnes âgées, isolées dans leur habitation, et une autre personne aux abords de la zone artisanale, ont dû être hélitreuillées car aucun accès en engin n’était possible (source : RTM 73). Compte tenu de la rapidité de l'événement (deux heures de pluie ont suffit pour déclencher la crue) et de sa soudaineté (lors d'une lave torrentielle, il peut n'y avoir qu'un filet d'eau dans le lit du torrent avant le passage de la lave torrentiele, donc rien d'alertant), bien malin celui qui pourrait dire ce qu'il faut faire dans une telle situation : se réfugier dans les étages ou fuir les lieux. En tout état de cause, avoir un étage refuge paraît être le minimum acceptable lors de ce type d'événement et être réactif aussi (le bruit provoqué par la crue peut nous alerter si l'on comprend rapidement de quoi il s'agit).
Etre réactif, ce n'est cependant pas toujours possible, notamment quand une crue se produit la nuit. C'est ce qui s'est passé non loin de Modane, à Chantelouve (Isère), le 2 août 2014. L'orage a débuté vers 21h00. Les premiers débordements ont eu lieu vers 1h00 du matin et ont duré jusqu'à 2h00. Le cumul pluviométrique durant l'événement n'était pas exceptionnel (46,2 mm, soit une période de retour approximative de 2 ans (source : IRSTEA, RTM 38) et la pluie n'a donc pas pu avoir un caractère véritablement alertant pour les habitants. Les dépôts de matériaux à l'intérieur des habitations ont été compris entre 1,5 et 1,8 mètre. A l'extérieur, les dépôts dépassaient parfois 2 mètres. Lors de ce type d'événement, brutal et qui se produit la nuit, une habitation de plain-pied laisserait peu de chance. Dans une habitation à plusieurs niveaux, le plus prudent est d'installer les pièces pour dormir dans les étages.
En voyant cette photo envoyée par un habitant de Lamalou-les-Bains juste après la crue, il était difficile de ne pas se demander combien de fois encore nous verrions ce genre d'image ? Combien de maisons de plain-pied restait-il en France à proximité immédiate d'un cours d'eau ? Combien de maisons étaient encore sous la menace d'être détruites par une crue ou par les buldozzers après la crue (selon un rapport disponible sur le site de la Préfecture de l'Hérault, cette habitation a fait l'objet d'un arrêté de péril et n'était plus habitable) ?
Les communes ne peuvent faire l'économie aujourd'hui du recensement de ce type d'habitations si vulnérables dans leurs Plans Communaux de Sauvegarde, elles doivent travailler en amont avec les habitants impactés, et en faire une priorité en cas de crue. En effet, la consigne de sécurité « monter dans les étages » que l'on voit dans les DICRIM ne sert pas à grand chose ici. On ne peut se contenter de ces généralités et il faut informer quartier par quartier, maisons par maisons.
« Jamais je n'aurais pu imaginer... ». Combien de fois avons-nous entendu cette phrase, partout, absolument partout où nous avons rencontré des personnes inondées ou témoins d'inondation ? Couramment reprise par les médias et par nous-même dans différents travaux, cette phrase doit nous interroger. Que veut-elle dire ? A notre avis, que chacun à son niveau, doit faire un immense effort d'imagination pour penser le pire et se préparer à l'impensable. Il faut faire un immense effort d'imagination pour arriver à concevoir qu'un filet d'eau puisse en quelques heures augmenter de 8 mètres de hauteur et de 100 mètres de large. Pour nous aider dans cette dure entreprise d'imagination, nous avons l'expérience des autres, la mémoire des événements passés. C'est en tout cas le sens que nous essayons de donner à notre travail : recueillir des témoignages pour permettre à d'autres de se poser des questions. Pour arriver à cela, il faut aussi commencer par le commencement : se renseigner en mairie, auprès des services de l'Etat, consulter des cartes, sortir de chez soi, aller voir où est le cours d'eau, caché dans un tunnel, caché entre deux digues, perdu dans un territoire urbanisé fait de béton et de goudron. Evaluer la distance entre son habitation et le cours d'eau, réfléchir à cette distance. 10 mètres, 50 mètres, 100 mètres est-ce beaucoup ? A quoi m'attendre ?
Il n'est plus à démontrer aujourd'hui que l'impréparation des populations à ce type d'événement extrême est un facteur aggravant de la crise. Il y a un moment fatidique au cours duquel les gens ne percuttent pas que cela va s'aggraver et devenir terrible. Mais que les choses soient bien claires : nous ne voudrions pas être confrontés un jour aux événements que l'on nous a relaté. Et nous ne prendrions pas forcément toutes les bonnes décisions au moment adequat. Rester ou partir, il n'y a pas d'unique réponse. Mais nous sommes persuadés que si nous y avions réellement réflechi auparavant, nous mettrions plus de chance de notre côté le moment venu.
Posons-nous donc ces questions avant l'inondation plutôt qu'après :
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