Politiques publiques | Pandémie
Dès 2008, le Livre Blanc sur la défense [1] définit la résilience comme « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou tout le moins dans un mode socialement acceptable. Elle concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile toute entière ». L’accroissement de la résilience sociétale a été défini comme l’un des objectifs de la stratégie de sécurité nationale française. Dans une certaine mesure, les armées y participent, notamment au travers d’un appui dans les domaines sanitaires, logistique et de la protection [2].
Le processus de résilience comprend des étapes que nous précisons ici comme : une phase de dysfonctionnement préalable, le choc, la gestion de crise, le repositionnement, la transformation et une phase de renaissance.
Depuis plusieurs années, la prévention des risques majeurs s’est enrichie des démarches de résilience. En France, plusieurs ouvrages de référence, portés par différents ministères, en font état : le livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale (2013)[3], Villes et territoires résilients (2015)[4], La résilience des territoires aux catastrophes (2017)[5], Sécurité globale et résilience des territoires (2019) et De la prévention du risque industriel à la résilience des activités économiques (2019)[6].
Plusieurs retours d’expériences de gestion des catastrophes permettent de donner un éclairage sur le processus en cours lié à la crise du Covid-19. La description des étapes de la démarche de résilience offre une perspective de prise de conscience possible et encourage à saisir les opportunités qui nous sont offertes de changer, d’évoluer, voire de se transformer, et ainsi de mieux faire face aux enjeux globaux auxquels nous sommes confrontés.
Le processus de résilience suit généralement une phase d’inconséquence dans la gestion des risques, d’aveuglement voire de déni. Les catastrophes à répétition qui ont eu lieu ces dernières décennies, liées aux activités anthropiques ou au dérèglement climatique, ont été autant de signaux d’alarme de situations dysfonctionnelles sur le plan environnemental (alertes sur le dérèglement climatique), social (inégalités qui se creusent) et en termes de gouvernance (essoufflement des instances politiques mondiale post seconde guerre mondiale, dispositifs de gestion de crise sectorisés plutôt que globaux).
Ces événements, et les très nombreuses pertes de vies humaines qui en ont découlé, ont donné lieu à des réponses au coup par coup et a posteriori de la part des Etats, ou de groupe d’Etats (exemple de la Loi « Risques » du 30 juillet 2003 suite à l’accident d’AZF pour les risques industriels). Les catastrophes révèlent souvent l’impréparation des Etats : exemple de l’impuissance de la Thaïlande face au Tsunami de 2004 ou des Etats-Unis lors de l’Ouragan Katrina en 2005 [7].
Si des leçons sont tirées après chaque accident majeur, pour mieux se préparer et faire face, il existe un autre frein à une meilleure gestion des crises : le déni dont, par exemple, l’Australie a fait les frais en 2019 dans le cadre de la survenue d’incendies exceptionnels (le gouvernement ayant tardé à prendre les mesures adaptées à la hauteur de la crise).
Avant ce choc décisif, des premières « secousses » peuvent avoir lieu : ce fut le cas du Tsunami en 2011 au Japon, suivi de la catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars, aux impacts internationaux.
Le choc a lieu à un moment donné. Pour la crise du Covid-19, en France, ce moment serait celui-ci de la mise en confinement généralisée le 15 mars 2020. Cet instant solennel fait prendre conscience à un instant T que chacun est confronté au même danger. Au-delà du fait générateur (le virus), c’est la mesure de confinement qui nous fait basculer dans le processus de résilience. Selon les spécialistes, sans mesures adaptées, le nombre de morts serait en effet d’un million en deux mois [8]. La majeure partie des pays du monde prenant également des mesures de confinement, le choc est globalisé, mondial, la résilience s’inscrit à ce niveau.
La crise, et les mesures associées, renvoient aux points de faiblesses et de vulnérabilité qui existaient préalablement. Tous les systèmes sont touchés : la personne, les acteurs de la société (association, entreprises, etc.), les Etats en charge d’assurer la sécurité de tous. Si une fragilité du système existait déjà « à froid », elle va être accentuée « à chaud ». Dans cette crise, les inégalités sociales et les capacités en question du système hospitalier sont plus flagrantes. Ainsi le mal-logement (934 000 logements surpeuplés, 4 000 000 de mal-logés [9]), la détresse psychologique (augmentation de plus de 30% des signalements liés aux violences conjugales et familiales en région parisienne au cours de la deuxième semaine de confinement), la solitude des plus vulnérables (près de 750 000 personnes âgées résident en EHPAD), l’accès inégal aux produits de premières nécessité liée à une tension logistique (les masques, l’alimentation), etc., montre « une crise des vulnérables ».
La crise liée au coronavirus met en miroir les mesures de distanciation sociale forcée, organisées de manière ponctuelle, et celles que le rapport actuel à la vieillesse, au handicap, aux plus démunis et vulnérables statutairement, a institué depuis des décennies.
Dans le processus de résilience, la voie de sortie de crise s’appuie sur la rupture de l’isolement, l’activation de ressources et des « tuteurs de résilience ». C’est la manifestation de liens sociaux préétablis, la mise en œuvre, et le rodage par des exercices, de dispositifs de gestion coordonnée de la catastrophe, qui favorisent une évolution positive par la suite. On peut considérer que les solidarités se manifestent à quatre niveaux différents : cellule familiale, réseau amical, lien social, système de solidarité national. En situation de crise, toute personne, ou système, qui ne serait pas reliée à plusieurs de ces points de contact voit sa vulnérabilité augmenter. Cette situation critique vient s’ajouter au danger initial générateur de la crise, ici le Covid-19. Cette activation des « multiples réseaux de solidarité », comme tuteurs de résilience, s’appliquent en outre, on l’a vu ces dernières semaines, à toutes les tailles de systèmes (hôpitaux, entreprises, Etat, etc.). Elle crée une chaîne de solidarité.
Pendant la crise, de nouveaux systèmes de solidarités et d’organisation se révèlent. Des ressources insoupçonnées sont activées et de nouvelles se créent. Face au VI-RUS, un instinct de SUR-VI se met en place, dans une forme d’allégresse, d’optimisme, de générosité. Il nous révèle la meilleure part de nous-même, (sans être dupe des effets d’opportunisme), celle dont nous devrons nous souvenir « le jour d’après ». A titre d’exemple, les Japonais utilisent des masques suite à l’épisode de la grippe espagnole [10]. En France, sur un autre plan, le Fonds « Barnier » [11], créé en 1995, finançait au départ les expropriations des biens exposés à un risque naturel. Aujourd’hui, il intervient plus largement pour l’indemnisation des catastrophes naturelles qui ne sont pas prises en charge par les assurances, et contribue à financer la politique de prévention des risques naturels.
L'activation de ces ressources sont le ferment de la transformation : de nouveaux acteurs et de nouvelles initiatives se créent en écho aux dysfonctionnements initiaux, qui apportent finalement leurs propres antidotes. En temps de crise, le manque de recul empêche encore de mesurer l’efficacité des solutions. Elles sont cependant des apports positifs pour faire face à de nouvelles pandémies éventuelles, repenser la mondialisation, les niveaux d’échanges, les points de vulnérabilités.
Après la phase aiguë de la crise, une phase de « repos » se présente dans le processus. C’est une étape clé de « repositionnement » qui se mêle aux prises de conscience. C’est une étape pour dessiner les choix d’avenir. C’est le moment où l’on prend conscience de ce que l’on ne souhaite plus, des points de non-retour dans nos manières de procéder mais c’est aussi l’étape où les mesures d’urgence qui ont été prises, notamment en matière de privations de liberté, peuvent être entérinées… Par peur continuelle qu’un aléa se présente, le champ de nos actions pourrait continuer à être diminué, les contrôles sur les personnes accentués.
C’est l’étape où ce qui a été expérimenté pendant la crise se cristallise et prend corps de manière durable dans les politiques publiques notamment.
Selon l’ampleur de la catastrophe, la phase de post-crise conduit à une phase de retour à la normale ou à la résilience, c’est-à-dire à un rebond associé à un changement de trajectoire. C’est le temps où les choix politiques et stratégiques sont cruciaux pour réduire fermement nos vulnérabilités. La crise actuelle du Covid-19 fait comprendre, par le renoncement, que nos fondamentaux reposeraient notamment sur : une alimentation durable, un lien social autre que virtuel, des déplacements raisonnés, une économie sécurisée. Le caractère mondialisé de la crise du coronavirus et sa survenue brutale, comme une synthèse de bien d’autres crises majeures précédentes, nous amène à repenser nos modes de vie au regard des enjeux globaux.
Ces transformations sont une forme de renaissance à nous-mêmes (quel que soit l’échelle : personnelle, collective), une révolution au sens premier du terme, qui suppose des mesures de soutien fonctionnelles et structurelles telles que :
Nous sommes nombreux à alimenter la réflexion sur les suites de cette crise exceptionnelle. Pour conclure, il semble en effet qu’elle interroge sur différents plans dont :
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Remerciements à Bernard Guézo, expert en vulnérabilité et résilience des territoires et à Damien Lamothe, coordonnateur pédagogique, expert en éducation à l'environnement.
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PS : mes pensées les plus sincères vont à tous ceux et celles qui œuvrent activement pour faire face, aux personnes décédées et à leur famille, à toutes les personnes vulnérables, aux mal logés.
[1] Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Paris, Odile Jacob-La Documentation française, 2008, tome 1, page 64. URL : http://archives.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/2008/IMG/pdf/livre_blanc_tome1_partie1.pdf
[2] Présentation 25 mars 2020, Emmanuel Macron. URL : https://www.vie-publique.fr/discours/273982-emmanuel-macron-25-mars-2020-discours-de-mulhouse
[3] Ministère de la Défense, 2013. URL : http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/pdf/le_livre_blanc_de_la_defense_2013.pdf
[4] Commissariat général au développement durable. Ministère de l’Ecologie. Edition CEREMA. 2015. URL : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Th%C3%A9ma%20-%20La%20r%C3%A9silience%20des%20territoires%20aux%20catastrophes.pdf
[5] Commissariat général au développement durable. Ministère de l’Ecologie. 2017. URL : https://www.cerema.fr/fr/centre-ressources/boutique/securite-globale-resilience-territoires-ingenierie-effets
[6] Edition CEREMA. 2019. URL :https://www.cerema.fr/fr/actualites/prevention-du-risque-industriel-resilience-activites
[7] « L’ouragan Katrina : les leçons d’un échec. Les faiblesses du dispositif de sécurité intérieure des Etats-Unis ». Eric Steiger, janv. 2008. URL : https://www.diploweb.com/L-ouragan-Katrina-les-lecons-d-un.html
[8] Coronavirus : des modélisations montrent que l’endiguement du virus prendra plusieurs mois. Le Monde, 19/03/2020. URL : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/03/17/covid-19-les-scenarios-decisifs-de-modelisateurs-britanniques_6033393_1650684.html
[9] 25ème rapport sur l’état du mal-logement en France en 2020. URL : https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/25e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2020
[10] Conférence Fréddy Vinet, de la grippe espagnole au covid-19. AFPCN. 3 avril 2020. URL : http://www.leparisien.fr/politique/grippe-espagnole-la-memoire-des-epidemies-doit-etre-entretenue-12-04-2020-8298198.php
[11] Cf. loi n°95-101 du 2 février 1995. URL : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000551804
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