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Mathieu Argaud : CODE SOURCE est une initiative de Bipolar pour sensibiliser les habitants du Haut-Rhône au risque inondation avec un dispositif pluriel, à 360°, de créations artistiques participatives.
Le titre « CODE SOURCE » s’est imposé assez tôt, dès l’écriture du projet, car nous nous sommes beaucoup documentés sur l’état écologique du fleuve, sur la question de la ressource en eau et sur la fonte des glaciers de manière à trouver des ressorts aux fictions narratives qu’on souhaitait impulser avec les artistes. Ce fameux « Code Source » était pour nous le sésame à retrouver, comme un code informatique perdu qui fait que nous ne serions plus suffisamment reliés au fleuve pour pouvoir se prévenir de ses débordements.
En informatique lorsque le code source est ouvert sous licence libre, chacun peut y contribuer, relever des erreurs et questionner la méthode.
CODE SOURCE révèle aussi d’où nous venons à Bipolar. Nous avons longtemps produit des créations artistiques dans les champs des « arts numériques », des projets qui associaient les arts, les sciences et les technologies. Depuis 2018, nous nous sommes destinés à ne produire que dans le cadre de thématiques environnementales.
Ce titre représente bien aussi le paradoxe qu’il y a aujourd’hui à vouloir « coder le monde » et toutes les interactions, c’est-à-dire désincarner par le truchement de l’écran la réalité, au moment où de nombreuses crises climatiques et environnementales ont lieu, comme celle de la ressource en eau qui vient à manquer. La résilience des territoires passe par la reconnexion des habitants avec leur territoire, et avec les vivants qui l’habite, dont nous dépendons de manière vitale.
Mais soyons honnêtes, le titre était bon pour un projet artistique, mais moins bon pour attirer du monde aux évènements ! Nous avons d’ailleurs très vite parler de Fête du Rhône, qui parlait plus aux gens.
M.A. : CODE SOURCE s’inscrit dans le cadre du Plan Rhône-Saône, à la fois sur le volet « culture du risque inondation » et sur celui de l’ « éducation au territoire ».
Nous avons proposé de travailler sur le territoire du Haut-Rhône car c’est une zone où il y avait eu peu d’interventions artistiques sur la culture du risque de l’inondation. Après nous être immergés dans le territoire, nous avons pu identifier un acteur relai essentiel qu’est le Syndicat du Haut-Rhône.
Avec ce projet imaginé pour le Haut-Rhône nous avons voulu tester l’approche territoriale d’une démarche culturelle sur cette thématique. Très concrètement, nous avons travaillé main dans la main avec les communes de Valserhône, Seyssel et Vions pour permettre aux projets artistiques de s’inscrire dans le territoire en associant des habitants, des écoles, des jeunes en centre de loisirs, des professionnels, etc. …
C’était un vrai pari que de construire un projet culturel sur quatre localités différentes qui n’ont pas d’histoire commune entre les habitants, qui plus est sans avoir de relai culturel en local, mais c’était un véritable enjeu que d’initier une méthodologie de projet qui permette d’associer les habitants à la fabrique d’une culture du risque de l’inondation. Ce projet avait une valeur expérimentale puisque nous voulions aussi projeter cette méthodologie sur l’ensemble du linéaire du fleuve avec le Plan Rhône-Saône.
La visée de Code Source c’est de sensibiliser les habitants au risque inondation avec des actions artistiques participatives sur le territoire dès leur conception, en associant également les communes, les acteurs locaux. L’aspect participation du public est pour nous un gage de réussite pour une appropriation des projets par le public cible et ainsi remettre au cœur du territoire le lien avec le fleuve, ses débordements mais aussi ses bienfaits.
M.A. : Ce projet comprenait quatre phases :
La manière la plus simple d’impliquer les habitants et les acteurs locaux c’est de co-construire les projets artistiques et la mise en œuvre des évènements. Concrètement, nous avons choisi des artistes dont la démarche nous semblait intéressante et fertile à transposer aux questions liées à la relation au fleuve, à l’eau, à l’inondation et dont la méthode de travail était d’associer des participants à leur création. Le travail le plus engageant pour nous a été de multiplier le type d’acteurs à associer sur le territoire : écoles, collèges, entreprises, associations, centres de loisirs, services municipaux… Tout cela a été rendu possible par les acteurs relais, tels que le Syndicat du Haut Rhône, la maison du Haut-Rhône à Seyssel, le centre de loisirs de Serrière (ALSH) ou encore le Groupe mémoire de Valserhône que nous avons sollicité puis accompagné pour relayer les initiatives que nous souhaitions déployer sur le Haut-Rhône.
Les territoires sélectionnés dans le Haut-Rhône l’ont été de manière assez intuitive en fonction de la géographie, des découpages administratifs, des enjeux liés aux inondations et bien entendu en fonction de la volonté des élus des communes ou intercommunalités d’accueillir un tel projet. Les trois zones choisies ont été la Commune nouvelle de Valserhône, la Communauté de communes Usses et Rhône avec Seyssel en Haute-Savoie comme ville centre, puis La Plaine de Chautagne avec Vions comme épicentre des problématiques d’inondation, avec le soutien de la Communauté d’Agglomération Grand Lac et le portage du Syndicat du Haut-Rhône.
Pour simplifier la démarche nous avons pris le parti d’écrire un projet global et de choisir des projets artistiques que nous pourrions décliner et mettre en œuvre (ateliers, résidences de création, interviews d'habitants…) sur chacun de ces territoires en associant à chaque fois les acteurs locaux intéressés : écoles, associations diverses, acteurs socioculturels, touristiques, services des collectivités… La rencontre plus large avec le public s'est ensuite faite autour de 3 événements de 2 à 3 jours sur chaque localité dont la programmation artistique était identique. Cette programmation a ensuite été enrichie au cas par cas pour chaque événement par des animations (touristiques, d’éducation à l’environnement, de sensibilisation) proposées par les acteurs locaux. C’est ce qui permettait que chaque territoire s’approprie ces « Fêtes du Rhône ». Nous avions d’ailleurs posé initialement comme impératif que Code Source soit présenté dans le cadre d’un évènement local pré-existant. Cela n’a pas toujours été possible mais cette coopération avec les acteurs et leur implication y compris dans l'organisation (logistique, communication) des événements a permis de tenir cette exigence, de ne pas être hors sol et sans lien avec la vie locale.
MA : Oui, au cœur de ce projet, se trouve la création d’œuvres contemporaines originales et participatives sur les relations réelles ou fictionnelles que nous entretenons avec le fleuve et le risque inondation. Ces actes fictionnels et performatifs permettent de renouveler l’intervention territoriale, d'expérimenter de nouveaux dispositifs, de révéler nos alliances avec le fleuve et mobiliser par le sensible les acteurs locaux sur la notion de protection.
L’artiste Benjamin Nuel que l’on a sollicité, a imaginé une fiction en réalité virtuelle, Le temps du monstre, où le monstre symbolise la renaissance du fleuve.
« Dans « Le temps du monstre », il y a deux choses, le temps et le monstre, c’est l’idée de se décentrer à la fois de notre époque et de nous, humains. Le monstre est le personnage fil conducteur de l’histoire, il créé une forme de décalage, entre inquiétude et suspense : le monstre que l’on voit va-t-il nous sauter dessus ? Mais l’attitude du monstre est différente de l’archétype habituel. Ce monstre qui grossit au fur et à mesure, peut être un reflet de l’angoisse climatique et environnementale ; il grandit au fur et à mesure, pour illustrer que l’homme doit descendre de son piédestal et voir qu’il n’est pas le seul vivant de la planète, qu’il y a notamment les animaux. Mon but dans ce film était de sortir du temps court de la vie d’un homme, et sortir du point de vue humain. L’histoire prend forme sur une ligne temporelle qui part des années 1970, point culminant de la croissance économique et de la sortie du rapport Meadows sur les limites de la croissance, pour arriver au 3ème millénaire. En arrière-plan, une centrale nucléaire en friche, sur laquelle la nature reprend peu à peu ses droits, vue depuis les fenêtres d’une maison toute proche : illustration d’un temps passé, que ce soit en termes d’activité économique, de mode de vie, et de climat.»
Benjamin Nuel
Avec des témoignages d’habitants, l’artiste Julie Rousse a composé à partir des sons du Rhône, River feedback, et filmé à différents endroits, du glacier à ses deltas ou de l'embouchure à la source, le Rhône est à l'origine de ce dispositif sonore et vidéo à l'intérieur duquel le spectateur est immergé.
Le collectif 3615 DAKOTA a transformé les berges du Rhône en un centre de Thalassothérapie urbaine. En intégrant notamment la question de la relation au fleuve et à ses débordements, les Bains publics du Rhône proposent une installation et une expérience ludiques, inattendues et spéculatives.
Stéphane Marin a arpenté des lieux choisis, entre Valserhône et Brangues, pour enregistrer des sons à différentes saisons et heures du jour et de la nuit : les sons de la faune et de la flore (biophonie), des quatres éléments (géophonie) et les sons des humains et de leurs activités, industrielles, de loisirs, de la vie quotidienne… (anthropophonie). Il en a tiré des "marches Inouïes", une marche d’écoutes, Une sieste sonore, Une cartographie sonore du Rhône pérenne, et "A l’écoute du paysage" des ateliers d'initiation à l’écoute et de découverte du field recording auprès de deux classes de CM1/CM2 des écoles de Seyssel 74 et 01.
Pascal Messaoudi, lui, a été en résidence sur le territoire, et a réalisé dix capsules sonores : « des paroles sensibles et singulières, mêlées à des sons enregistrés sur place. Invitations à recomposer le puzzle des relations que nous avons au fleuve et aux inondations ».
Quant au plasticien Cyril Hatt, il est parti de photographies papier pour réaliser une maison, en trois dimensions, à l’échelle 1, taille réelle, qui est emportée par le fleuve.
À voir, le beau film épilogue "Code Source" qui rend bien compte de l'aspect sensible du projet : écouter, voir, toucher, goûter, sentir le fleuve Rhône qui entoure les territoires grâce à toutes les créations artistiques qui ont été proposées, et qui donnent la parole aux artistes, aux partenaires et aux publics !
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