Initiatives locales & bonnes pratiques | Crue / Inondation
Des expériences menées montrent l’efficacité des actions participatives, ludiques et artistiques sur l’influence des comportements en situation de crises fictives [1]. Effectivement, après avoir mis en situation sur maquette des enquêtés de profils différents, à travers des scénarios catastrophes : inondation, séisme, accident industriel, les enquêtés ont fait remonter les actions de sensibilisation qui les avaient aidées à réagir à ces évènements extrêmes proposés de manière fictive. Il ressort de ces témoignages que les actions telles que les exercices de simulation, les petites vidéos, les interventions en milieu scolaire favorisent particulièrement les « bons comportements". Les enquêtés réagissent plus vite et de manière plus adaptée, avec moins de doutes, en ne revenant pas sur leur première idée, qui est bien souvent la meilleure pour se mettre en sécurité. Cela peut être expliqué par le fait qu’en activant les émotions et les sensations, les messages s’inscrivent mieux dans la mémoire profonde des personnes. Les circuits neurologiques créés lors d’une première action de sensibilisation de ce genre, sont réactivés lors d’une nouvelle mise en situation, bien que celle-ci puisse être quelque peu différente. La conscience et les connaissances acquises participent également à une amélioration de la confiance en soi et facilitent la prise de décision.
Retour d’expérience des sessions de sensibilisation aux risques majeurs et aux bons comportements des 25 et 30 novembre 2021, avec la pièce de théâtre forum et l’atelier débat créatif « Accords Mineurs pour Risques Majeurs » à l’IRFSS (l’Institut Régional de Formation Sanitaire et Sociale Auvergne-Rhône-Alpes) à Grenoble. Financée par le SPPPY, la ville de Grenoble et l’IRMa, cette prestation était à destination des ERP (Etablissement Recevant du Public) et du grand public. Une trentaine de personnes ont assisté à cette prestation.
Sur la base des comportements observés lors d’événements réels ou relatés dans les RETEX (Retours d’Expériences) et simulations, plusieurs scénettes catastrophes sont rédigées puis jouées [2] ! Le public a ainsi vécu une inondation, un séisme et un accident industriel de manière fictive. Les réactions sont naturelles et compréhensibles : volonté d’aller chercher ses enfants à l’école, aller coûte que coûte au travail malgré les difficultés de circulation, téléphoner sans arrêt pour avoir des informations etc. Certaines consignes sont connues et viennent même du bon sens, mais d’autres sont plus compliquées à appliquer… Les comédiens abordent le sujet sur le ton mêlé du drame et de l’humour.
A la fin de chaque scénette le jocker (une comédienne) interroge la salle : quels sentiments ressentez-vous ? Comment auriez-vous fait pour éviter ses réactions en chaîne et fin dramatique ? Entre rire et stress, questionnements et réponses, prise de conscience et déni, un débat naît au sein du public. Après quelques propositions (cohérentes ou drôles) et rebonds, le jocker invite une personne sur scène pour lui demander de mettre en scène son idée. Soutenue par le public, la personne incarne un personnage de la scène et on reprend le théâtre. Face à ces dilemmes, ce n’est pas évident d’aller au bout et de tenir son argumentaire, mais la volonté de réussir à sauver la situation l’emporte sur le reste. Jeux de mots, blagues, humour restent présents dans cette phase d’improvisation, caractéristique de la situation de crise. La scène se termine bien grâce à la participation du public.
Ce genre théâtral est l’outil permettant de rendre le public acteur de la gestion de crise : prise de conscience des risques et vulnérabilités, mais aussi de sa capacité à se protéger et protéger les autres sans se mettre en danger soi-même. Les idées viennent du public. Elles sont testées sans enjeux et adoptéespar le public. Le public s’identifie aux acteurs, grâce aux neurones miroirs et réfléchit en même temps aux arguments qu’il donnerait à ses voisins ou à sa famille pour les convaincre des bons comportements à suivre. Cet exercice est une forme de préparation mentale rendue efficace par l’excellent niveau des comédien-nes professionnel-les.
Après quelques jours d’intégration de cette expérience théâtrale, le public a été invité pour l’étape suivante : l’atelier débat créatif [3]. Le but était de répondre aux questions suscitées par la pièce de théâtre, et ce de manière ludique et interactive. Une mission est confiée au public : réfléchir à un plan, une liste de tâches à faire en amont pour préparer l’institution dans laquelle le public travaille, ou préparer l’organisation au sein de son foyer. C’est en quelque sorte un préparatif au POMSE au PPMS ou au PFMS. Pendant cet exercice qui met en débat les idées, les animatrices répondent aux questions et accompagnent les participants réunis en équipe.
Le jeu se corse avec des cartes situations extrêmes. Dans le prolongement de cette mission, une deuxième consigne est annoncée : imaginer comment transmettre un message de prévention à un de vos publics ou vos voisins, familles… A nouveau les discussions bouillonnent d’idées innovantes. Des outils, affiches, jeux etc. sont créés par le public qui présente par équipe leur prototype. La prestation se termine par un challenge : mettre en œuvre de la diffusion de leurs messages avec photo à l’appui.
La prestation a été déployée pour les ERP et le grand public. Pour les ERP, la salle était comble facilement, grâce à la participation du chef d’établissement qui a invité et incité son personnel à venir. Mais il a été beaucoup plus difficile d’attirer le grand public. Seulement 12 personnes sont venues pour le théâtre forum et 1 pour l’atelier débat créatif. Pourtant une stratégie de communication avait été déployée en coopération avec la mairie de Grenoble et les associations de quartier. En effet plusieurs réunions ont rassemblé les associations pour présenter la prestation et les engager à inviter leurs membres.
Des affiches ont été posées dans les quartiers Mistral et Eaux claires, des flyers ont été distribués de main à main et dans les boites aux lettres. La mairie a fait la promotion de la prestation via son site internet et Facebook. Les réseaux sociaux ont été aussi utilisés par la compagnie de théâtre elle-même. L’énergie déployée n’a pas suffi à attirer la population des quartiers cible de l’action. Il ressort de cette expérience la difficulté d’attirer le grand public sur des actions dédiées aux risques majeurs, un sujet qui reste anxiogène. Cette expérience a toutefois montré l’intérêt d’aller d’abord sensibiliser des publics captifs : scolaires, employés dans leur cadre de travail.
Un questionnaire a été distribué au public à trois moments clés de la prestation : à l’entrée (enquête 1), à la fin de la première session (enquête 2) et à la fin de la deuxième session (enquête 3). La grande majorité du public n’avait pas suivi d’action de sensibilisation aux risques majeurs auparavant. La grande majorité des participants a indiqué avoir un niveau faible au départ de la prestation puis s’estime plus compétentes voire être experte suite au théâtre forum puis à l’atelier débat créatif.
4 personnes disent avoir appris peu de choses contre 17 beaucoup. Cela est vérifié dans la question ouverte portant sur les réflexes à suivre en cas de séisme, d’inondation ou d’accident industriel. Alors qu’un peu plus d’une dizaine de réflexes sont proposés au total sur chacun des évènements (toutes personnes confondues) avant la prestation, une trentaine à une quarantaine sont donnés suivant les événements suite à la pièce de théâtre forum.
Suite à cette prestation le public arrive à gagner en gestion de ses émotions face à l’idée que des événements d’ampleur majeur surviennent. Davantage de personnes se sentent plus « zen », moins sont stressées à l’idée qu’un événement majeur n’arrive, mais presque autant sont encore mitigées en se projetant.
Concernant l’appréciation de la prestation, tous ont passé un bon moment voire un très bon moment. Les deux séances ont répondu moyennement (7 personnes) voire très bien (17 personnes) à leurs attentes. Toutes les personnes (sauf une) ont indiqué qu’ils recommanderaient la prestation.
D’ailleurs, 13 personnes en ont parlé aux membres leur famille, leurs proches ou leurs collègues, contre 8 qui n’en ont parlé à personne entre les deux séances.
Les commentaires sont encourageants et ce particulièrement concernant la pièce de théâtre forum: « L'animation, la transmission des informations » ; « Personnes captivantes » ; « Très très bon » ; « Merci » ; « Très bonne formule de sensibilisation et de réflexion » ; « Bravo » ; « Très bien » ; « C'était à la fois concret et très instructif tout en ayant une approche dédramatisante » ; « Bravo à Imp'Acte et à ses comédiens » ; « Au top »
Antoine Back, adjoint aux risques, à la prospective, à l’évaluation, aux ouveaux indicateurs et à la stratégie alimentaire, ville de Grenoble
« Les inondations, les éboulements, les séismes, les ruptures de barrage... sont autant de scénarios plausibles qu'il s'agit d'envisager avec lucidité sur notre territoire. La préparation à la gestion des crises n'est pas qu'une affaire de professionnel-les et de spécialistes mais aussi l'exercice d'une citoyenneté active. Face aux risques naturels et technologiques, nous avons toutes et tous une responsabilité individuelle (avoir le souci de soi et de ses proches) et collective (avoir le souci des autres) : l'enjeu est donc d'activer, de nourrir une culture du risque et de l’entraide. A la croisée des chemins entre spectacle vivant, information et réflexion, l'événement "Accords mineurs pour risques majeurs" a été une première à Grenoble pour s'instruire et développer les bons comportements face aux risques d'une manière sérieusement ludique. »
Corinne Thievent, animatrice du Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques dans la région grenobloise (SPPPY)
Dans le prolongement de la campagne d’information réglementaire de 2018 sur les risques industriels majeurs orchestrée par le SPPPY, le SPIRAL et l’APORA, la dynamique d’information préventive a volontairement été maintenue sur les territoires afin de favoriser la connaissance des consignes et la culture du risque et de la résilience. Cela s’est traduit notamment par l’organisation de journées annuelles Les bons réflexes sur plusieurs thématiques (les réseaux sociaux, l’alerte, la gestion de crise…) et la labellisation Les bons réflexes d’une cinquantaine d’action depuis 2018. Cette action originale et culturelle Accords Mineurs pour Risques Majeurs entrait tout à fait dans le cadre de nos objectifs d’acculturation au risque et a donc été labellisée Les bons réflexes et soutenue financièrement par le SPPPY, aux côtés de la ville de Grenoble et de l’IRMa. Cette action sera reconduite mi-octobre 2022 dans le cadre du déploiement local du plan d’actions « Tous résilients face aux risques ».
[1] L’atelier débat créatif est conjointement réalisé par Christelle Gaïdatzis de l’association Comet’ et Audrey Borelly de Risk’Art
[2] Ce travail de mise en récit et mise en scène des scénettes est réalisé par la compagnie de théâtre Imp’Acte et Audrey Borelly de Risk’Art
[3] Borelly, A. (2019). Comment mesurer l'influence de l'information préventive sur les risques majeurs ? : L'intérêt de la mise en situation sur maquette. [Thèse de doctorat, Université Grenoble Alpes (ComUE)]. HAL : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02271538
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