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Education aux risques

(UNE NUIT) - une aventure artistique autour du risque inondation

Publié le 15 juillet 2020

Par La Folie Kilomètre

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(UNE NUIT) - une aventure artistique autour du risque inondation
« Les Voix Croisées », Chalon-sur-Saône, 22 mars 2019 - © Michel Wiar

Bonjour, bienvenue au centre d’hébergement n° 12. Vous avez été évacués suite aux inondations sur le territoire. Mettez-vous à l’aise, choisissez un lit. C’est ici que nous allons passer la nuit. La réunion de crise aura lieu à 20 h, le repas d’urgence sera servi à 21 h. Vous pouvez vous inscrire sur le tableau des ressources si vous voulez nous aider. Dans cette expérience, vous jouez votre propre rôle.


La montée des eaux est fictive, mais la situation d’évacuation bien réelle. C’est ce que propose le collectif artistique La Folie Kilomètre [1] avec (UNE NUIT), spectacle-expérience autour du risque inondation. Cette aventure s’est déroulée cet hiver sur quatre territoires entre Saône et Rhône, invitant le public à questionner sa propre perception du fleuve et du risque.

Lauréat de l’appel à projets « Culture du risque - projets innovants » porté par le Plan Rhône, (UNE NUIT) bénéficie pour sa création et sa mise en œuvre du soutien de l’Union européenne et d’EDF. Cet appel à projets, adressé aux artistes, structures culturelles, collectivités, chercheurs, vise à expérimenter grandeur nature de nouvelles voies de sensibilisation au risque inondation à travers des supports sensibles et/ou numériques.

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Affiche "Une Nuit" - © La foliekilometre

Pour cette création La Folie Kilomètre a regroupé une dizaine d’artistes, techniciens, constructeurs, scénographes. Le collectif a également impulsé la formation d'un groupe de spécialistes, experts, techniciens du risque inondation, impliqué pendant la création sur des questions de validation scientifique et de regard extérieur. Parallèlement, le projet (UNE NUIT) fait l’objet de la création d’un film de fiction-documentaire.

Conçu dans la continuité du projet Jour inondable que le collectif avait créé en 2012 dans le cadre d’une commande artistique du POLau-pôle arts et urbanisme à Tours, le projet (UNE NUIT) s’est déployé sur l’ensemble du bassin rhodanien dans quatre villes : Arles les 22 et 23 février 2019, Salaise-sur-Sanne le 2 mars, Chalon-sur-Saône les 22 et 23 mars et Valence les 13 et 14 avril. Chaque nuit a accueilli entre cinquante et cent personnes. Parmi les motivations : l’envie de vivre une expérience artistique hors du commun, la curiosité de découvrir ou de questionner la gestion du risque, le partage d’une situation intime et collective générée par la fiction de l’évacuation.

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Panneau d'information au PC Sécurité, Arles, 22 février 2019 - © Magda

Sans chercher la vraisemblance d’une reconstitution ou d’une simulation, (UNE NUIT) est une proposition sensible qui bouscule la place du spectateur en fabriquant une mise en situation poétique, des zones de flou entre réel et imaginaire.

Cette immersion dans des enjeux sociétaux, environnementaux et techniques est portée par une mise en récit artistique. Il s’agit de fabriquer un vécu commun autour d’une expérience immersive, multipliant les points de vue au gré d’une dramaturgie ouverte.

Convoqués dans différents endroits de la ville, les spectateurs vont progressivement comprendre qu’une inondation est annoncée. Ils vont passer une soirée et une nuit entre réalité et fiction dans un gymnase, aménagé en centre d’hébergement d’urgence avec plusieurs zones : accueil, dortoir, cuisine, PC sécurité [2], point presse, poste de secours…

 «  Le processus de sensibilisation est ici envisagé au sens premier du terme. Comment rendre sensibles, par l'expérience éprouvée, les enjeux de prévention des risques ? » 

Chaque espace est en accès libre et a son propre rythme de fonctionnement avec des propositions en continu (point écoute ou centre de relaxation au pôle santé…), des actions régulières (flashs infos au point presse…), des temps forts (préparation du repas, réunion de crise au PC sécurité…).

Il y a des choses à voir, des choses à vivre, des choses à faire. Il est aussi possible de ne rien faire. La plupart des actions sont à envisager comme des cadres offerts qui ne prendront leur forme finale qu'avec l'implication des participants.

Cinq chapitres structurent la progression globale, au rythme de la montée des eaux.

Un comédien endosse successivement le rôle du pompier, du journaliste, du directeur de cabinet, du guide de musée… Il embarque les participants dans la fiction.

Le reste de l’équipe artistique accompagne et active les situations : encadrement du montage des lits, des tables, de la préparation du repas, mise en relation de personnes dont les compétences et les besoins recensés pourraient se rencontrer. Ce lien étroit et permanent avec le public porte le bon déroulement des actions et veille à la cohérence narrative.

Cette équipe est complétée sur chaque territoire par l'intervention de complices [3] qui sont invités à venir jouer leur propre rôle. Ainsi, les équipes en présence au PC sécurité, au point presse et au poste de secours sont majoritairement composées du personnel, des techniciens, experts, bénévoles, qui seraient réellement amenés à intervenir auprès de la population en cas d'inondation. Cette présence accentue la situation et vient interroger chacun dans son rapport à la réalité.

Cette variété de présences et de situations favorise l'émergence d'un propos complexe et pluriel, qui n'impose pas un point de vue univoque, mais devient l'opportunité d'un élargissement du regard et d'une appropriation personnelle de la thématique.

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Interview de Roland Roux, président du CPIE Rhône-Pays d'Arles, au point presse, Arles, 22 février 2019 - © Magda

La création entremêle actions documentaires (utilisation de documents, d’archives, de témoignages, interventions de complices, élus, météorologues, secouristes…), dimensions spectaculaires et théâtrales (apparitions de personnages poétiques, installations plastiques, projections…) et temps de vie quotidienne extra-ordinaire (installation des lits, confection du repas d’urgence, vaisselle…).

Il s'agit de donner envie à chacun de se mettre en jeu, d'être actif dans ce dispositif d’expérience-spectacle, de bousculer la place du spectateur et de favoriser son implication dans une situation à la fois intime et collective. Cette proposition rend possible la formation d'une communauté spontanée et éphémère. En reconnaissant la place de chacun, sa singularité et son histoire, émerge le moyen de faire groupe et, par là, de relier les histoires individuelles à l’histoire commune.

Cet aspect fondamental met en jeu le rapport entre territoire et habitants, entre gestion du risque et choix de société.

Aborder le sujet du risque signifie parler de quelque chose de non advenu. On parle d'un potentiel, d'un possible. Car dès lors qu'il devient réalité, il change de statut, et n'est plus un risque. Partant de là, la distance poétique et la mise en jeu, au sens théâtral et symbolique, permettent à chacun d’enclencher un processus de projection dans une réalité potentielle, de devenir un protagoniste en action, de mettre en récit le territoire, sa relation au fleuve, la mémoire d'inondations passées, le rapport au futur, de naviguer entre des registres émotionnels diversifiés.

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Accueil du public au centre d’hébergement d’urgence n°12 - © MichelWiart

Loin d'une démarche didactique, (UNE NUIT) fait exister une proposition poétique, qui met le réel à distance et, par là même, permet de faire évoluer la perception que l'on en a.

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Panneau d'information à l'entrée du centre d'hébergement d'urgence, Arles, 22 février 2019 - © Magda

Les deux activateurs principaux de ce processus sont le temps et l’espace.

Le temps de la nuit entière est nécessaire à l'immersion du public dans l'expérience. Il rend possible une bascule des sensations et des perceptions. Il laisse à chacun le temps d’évoluer dans son positionnement. Le lieu joue également un rôle fondamental, car il pourrait être réellement utilisé comme centre d'hébergement d'urgence. Cela accentue le caractère plausible de la situation, la tension entre réalité et fiction. Ce huis clos rend d’autant plus prégnant le lien à l'espace. Le centre d’hébergement d’urgence est ici une bulle hermétique à l'extérieur, le théâtre d’une histoire qui se construit.

Le projet s’est réalisé dans des villes aux tailles et aux problématiques variées. Chaque représentation est l’occasion d'intégrer des éléments contextuels. À Salaise-sur-Sanne par exemple, la conférence de presse abordait le risque industriel du fait de la proximité d’usines pétrochimiques. À Arles, certaines personnes avaient vécu les inondations de 2003 et leur regard sur l’expérience en était imprégné.

À ce titre, chaque représentation est une expérience unique.

La série de représentations est également l'occasion d'opérer un changement d'échelle, au sein d'une réalité complexe et d’un territoire plus large dont les parties sont pourtant liées les unes aux autres.

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Démonstration de secourisme au pôle santé par la Croix Rouge de Arles - © Magda

Cette manière de traverser les échelles fait écho au rapport intime/collectif évoqué ci-dessus. Les spécificités locales ancrent le projet dans une réalité connue, celle du quotidien et du palpable. Tandis que la vision à l’échelle du bassin rhodanien place cette réalité dans des enjeux plus vastes, dépassant l’individu et nécessitant de penser le commun.

Enfin, et parce qu'il s’agit d'une expérience collaborative venant mettre en jeu les pratiques de chacun, le déploiement d’un tel projet sur un territoire permet d'enclencher, de soutenir, d'intensifier une dynamique au sein du réseau des acteurs concernés par le risque inondation dans chaque ville.

Les retours d’expérience des différents complices témoignent du déplacement de regard apporté par la proposition artistique, laissant la possibilité à chacun de faire un pas de côté, de s’ouvrir à d’autres pratiques, d’interroger et de faire évoluer sa perception du risque, face à des enjeux de société qui, eux aussi, évoluent constamment.

 

Notes :

[1] Créé en 2011 et basé à Marseille, le collectif La Folie Kilomètre regroupe des artistes issus du spectacle vivant, des arts plastiques et de l’aménagement du territoire. Ses créations associent mises en fiction et dispositifs documentaires, installations plastiques et formes spectaculaires, écriture contextuelle et expériences scénarisées. Construites à partir de temps longs d’immersion, elles s’ancrent dans les territoires qu’elles explorent et s’articulent autour d’une dramaturgie des paysages traversés. Pour en savoir plus : http://www.lafoliekilometre.org

[2] PC pour poste de commandement

[3] Ont par exemple participé à l'expérience : des secouristes de la Croix-Rouge ou de la Protection civile, un capitaine des pompiers, des responsables politiques (maires, élus, service de sécurité civile, adjoints, chargés de communication), des journalistes de la presse locale ou régionale, des photographes, des prévisionnistes, des chargés de recherche (Unité mixte de recherche « Environnement ville société »), un chargé de projet ouvrage hydraulique, des chargés de mission (Institut des risques majeurs), un hydrométéorologue, des ingénieurs, un chargé d’opération GEMAPI, un responsable du service prévention de la ville, une géographe, une apprentie géographe de l’École normale supérieure de Lyon, une paysagiste, des conducteurs de bus, une directrice d’école, une directrice de piscine, une animatrice au service Patrimoine d’art et d’histoire de la ville, des membres du Yacht motor club rhodanien, des membres d’associations (Les canaux de Valence, 1er siècle), un historien, un conservateur, un entraîneur de natation, des membres et le directeur du CPIE (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement Rhône Pays d’Arles).

 

A voir, le teaser du film "Aléa très fort" tourné au cours des sept représentations d’(UNE NUIT) à Arles, Salaise-sur-Sanne, Chalon-sur-Saône et Valence entre février et avril 2019,

 

En savoir plus :

> Aléa très fort (26 minutes) / Plongée filmographique autour du risque inondation
http://lafoliekilometre.org/accueil/travaux/alea-tres-fort/



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