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Evaluation des risques

Et la Maurienne s’est mise à trembler !

Publié le 7 janvier 2018

Par SISMalp

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Et la Maurienne s’est mise à trembler !
La basse vallée de la Maurienne enserrée par les massifs de Belledonne et de la Lauzière au niveau des communes de Saint-Alban-des-Hurtières et d’Argentine. © Photothèque IRMa / Sébastien Gominet

Depuis juillet 2017, une augmentation significative du nombre de séismes en Maurienne a été enregistrée par le réseau de surveillance de la sismicité des Alpes (SISMalp). Ces séismes sont concentrés en temps et en espace sous forme d’un essaim de sismicité. Leur magnitude reste faible, mais un grand nombre a été ressenti par la population locale qui nous interpelle sur l’origine de cette séquence.

Ont participé à l’article (ordre alphabétique) : Olivier Coutant, Philippe Guéguen, Stéphane Guillot, Agnès Helmstetter, Mickael Langlais, Jérôme Nomade, Stéphane Schwartz.

Affiliations : Institut des sciences de la Terre - Université de Grenoble-Alpes, CNRS, IFSTTAR, IRD, observatoire des sciences de l’univers de Grenoble.

 

La France est un pays à sismicité modérée. Les séismes y sont rares, mais quelques exemples historiques nous rappellent que certains peuvent atteindre des magnitudes supérieures à 6. Depuis 2010, un nouveau zonage sismique de la France a été établi, identifiant les Alpes comme une des régions les plus sismiques de France métropolitaine, reflétant un taux de sismicité important et des séismes historiques significatifs.

Depuis 1989, le réseau de surveillance de la sismicité des Alpes (SISMalp) enregistre en permanence les séismes qui s’y produisent. Ce réseau, porté à l’origine par François Thouvenot et Julien Fréchet de l’Institut des sciences de la Terre, avait été imaginé de façon à détecter les petits séismes se produisant partout dans les Alpes. Leur pari (gagnant) était alors de construire un catalogue de sismicité afin de mieux comprendre la dynamique à l’origine de la formation des Alpes et de caractériser les zones sismogéniques les plus actives, pouvant éventuellement produire un séisme plus fort. Depuis 2010, grâce au lancement du projet national RESIF et à l’appui des régions via des programmes européens, ce service s’est modernisé, avec en ligne de mire la poursuite des objectifs initiaux, à savoir une détection et une localisation fines de la sismicité.

L’effet immédiat de cette modernisation a été :

  1. d’améliorer la qualité des signaux enregistrés,
  2. de consolider la transmission en continu et en temps réel depuis les stations disposées partout dans les Alpes vers l’Institut des Sciences de la Terre,
  3. d’optimiser la détection et la localisation des séismes, en interconnectant notre système avec ceux des services suisses et italiens.

La fonction de SISMalp est avant tout d'être un outil dédié à la recherche, mais son implantation régionale nous pousse naturellement à répondre aux sollicitations des populations en recherche d’information, ou des collectivités locales et des services de l’État lorsqu’une sismicité marquante apparaît.

Localisation des événements sismiques par SISMalp
Localisation des événements sismiques par SISMalp sur le secteur de la Maurienne entre 01 juillet 2017 et le 08 décembre 2017.

C’est le cas depuis 2017, avec une activité sismique particulière observée à l’entrée de la vallée de la Maurienne. Depuis juillet 2017, SISMalp a détecté plus de neuf cents séismes dont trois cents de magnitude supérieure à 1.5 et treize de magnitude supérieure à 2.5. Les événements les plus significatifs de la séquence sont ceux de magnitude 3.4 du mercredi 25 octobre 2017 et 3.7 du vendredi 17 octobre 2017, suivi par deux séismes de magnitude supérieure à 3, le 17 novembre 2017 à 13 h 07 (M=3.3) puis à 13 h 10 (M=3.6). Leur localisation les situe à relativement faible profondeur, entre 4 et 7 km. En réponse au premier séisme significatif du 25 octobre, un réseau de cinq stations complémentaires a été installé par SISMalp autour de l'essaim pour mieux comprendre cette activité. Une vigilance accrue est maintenue grâce au soutien des Services nationaux d’Observation (SNO) de l’Institut national des Sciences de l’Univers du CNRS, hébergés par l’Observatoire de Grenoble.

Ce phénomène n’est pas inhabituel dans les Alpes. Appelé essaim sismique, il a également été observé dans la région de la Haute Vallée de l’Ubaye (04) et sur la commune de Vallorcines (74), ces derniers ayant généré des essaims sismiques depuis une trentaine d’années, montrant des phases d'activation et d'accalmie. Ces essaims correspondent à une augmentation du nombre de tremblements de terre, concentrés en espace et en temps, sans qu’un événement plus significatif se détache… jusqu'à ce que finalement, un tremblement de terre plus important se produise parfois. En Maurienne, c’est un essaim inédit qui est en cours, dans le sens où aucune séquence n’a jamais été détectée depuis le démarrage de la surveillance à la fin des années 80.

Localisation de la zone d'étude et des principaux séismes historiques
Localisation de la zone d'étude et des principaux séismes historiques

L’essaim de sismicité se localise dans le massif de Belledonne. Ce massif correspond à l’un des massifs cristallins externes des Alpes occidentales françaises et s’étend sur plus de 120 km selon une direction N30. Ce massif est limité à l’ouest par la large dépression topographique de la vallée de l’Isère et de la combe de Savoie, ce qui en fait le premier relief très important que l’on rencontre dans les Alpes en venant de l’ouest. L’essaim de sismicité actuel observé dans le massif de la Lauzière (qui correspond au prolongement nord du massif de Belledonne entre les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise) est assez comparable à celui observé au sud de Grenoble en 1999 du point de vue des magnitudes et profondeurs des séismes. Le massif de Belledonne est en effet aujourd’hui affecté par une déformation active récurrente, démontrée par la sismicité historique et les données sismiques et géodésiques récemment acquises. La localisation des sources sismiques, assurée depuis plus de vingt ans par le réseau sismologique de SISMalp, montre une concentration de séismes le long d'un axe parallèle à la bordure ouest du massif de Belledonne. Cet alignement d'événements sismiques de magnitude inférieure à 3,5 se localise à des profondeurs faibles (moins de 10 km) et s'étend sur plus de 50 km. Sa direction N30 est parallèle au massif et l’activité sismique qui s’y développe est interprétée comme la signature sismique de l'activité tectonique de la faille bordière de Belledonne.

Dans cet essaim, les séismes s’alignent suivant deux directions préférentielles N120 majoritaires et N60 minoritaires. De plus, les séismes les plus importants (magnitude > 3) montrent des mécanismes au foyer en extension, avec effondrement vers le sud-ouest. Les observations géologiques en surface montrent dans la zone épicentrale la présence d’une faille majeure sub-verticale orientée N60, et ayant jouée lors de la convergence et du soulèvement récent du massif. Les failles de direction N120 sont moins visibles et sont d’extension plus faible. À ce stade de l’analyse, il se peut que l’essaim observé actuellement, corresponde à un relais décrochant N60 entre des failles majeures N30 du secteur (faille de Belledonne) et amène localement des ajustements sismiques nombreux sur des failles N120 d’extension latérale pourtant mineure. L’essaim actuel correspondrait alors, à des ajustements entre les zones décrochantes orientées N30.

Surveillance de la sismicité des Alpes et zoom sur le secteur de la Maurienne
Surveillance de la sismicité des Alpes et zoom sur le secteur de la Maurienne

Cette activité sismique reste modérée en terme de magnitude, et dans la gamme d’amplitude des tremblements de terre qu'on observe dans les Alpes régulièrement. Son évolution reste imprévisible, que ce soit une augmentation, un maintien ou une diminution du nombre d'événements. Cependant, depuis juillet 2017, ces séismes sont souvent fortement ressentis par la population, qui témoigne de frayeur et de bruits semblables à des détonations dans la vallée. Cette séquence mal appréhendée empêche sa gestion de manière efficace, avec sérénité, qui dans le meilleur des cas doit pouvoir s’appuyer sur une connaissance approfondie des processus. Entre les tremblements de terre et les essaims naturels, les processus peuvent être différents, mais les mêmes points de blocage contribuant à la gestion des risques existent, d’autant plus qu’ils sont quasi-systématiquement ressentis par les populations qui souhaitent être informées et rassurées : la magnitude maximale possible est inconnue, les mouvements du sol associés créant les vibrations sont incertains, le ressenti et les dommages aux structures et infrastructures sont mal prédits, la durée et la fréquence de la séquence sont mal contraintes, etc. Les conséquences humaines et sociétales peuvent être importantes selon comment évolue la séquence. On ne sait pas non plus si les essaims sont révélateurs d’une modification à long terme de l’aléa et du risque sismique de la région dans laquelle ils se produisent, mais ils doivent être considérés et intégrés à la prévention.

Les populations impactées s’interrogent sur l’origine et l’évolution des essaims ressentis, et s’inquiétant du niveau de risque auquel elles sont soudainement exposées, elles se tournent en quête de réponses vers les services de l’État, qui eux-mêmes se tournent vers les scientifiques. Ainsi, en réponse à cette séquence, les collectivités locales (mairies de la zone concernée), les services de l’État (préfecture de Savoie) et la population nous sollicitent, afin de comprendre ce qu’il se passe et connaître le niveau de dangerosité de la séquence sismique en cours. Nous rédigeons des bulletins d’information décrivant nos observations et les premières analyses de localisation et de terrain que nous menons. L’analyse pertinente des processus, une pédagogie ciblée et une communication maîtrisée sont les ingrédients permettant d’aborder la crise de façon efficace. Ce sont les objectifs principaux que nous avons énoncé dans un projet déposé par SISMalp au Programme opérationnel inter-régional FEDER Massif des Alpes (POIA) en 2017.

 

Références :

Goffé B., Schwartz S., Lardeaux J.M., Bousquet R., 2004. Exploratory notes to the map : metamorphic structure of the Alps, Western and Ligurian Alps. Mitt Osterereichischen Mineralogischen Ges., 149, 125-144.

Guillot S., Di Paola S., Ledru P., Ménot R.P., Spalla M.I., Gosso G., Schwartz S., 2009. Evidence for a main Paleozoic suture zone in the Belledonne/Grandes-Rousses/Oisans massifs (Western Alps) in the light of Geographical Information System mapping. Bulletin de la Société géologique de France, 180, 483-500.

Martinod J., Roux L., Gamond J.F., Glot J.P., 2001. Present-day deformation of the Belledonne Massif (External Alps, France) : comparison triangulation-GPS. Bulletin de la Société géologique de France, 172, 713-721.

Thouvenot F., Frechet J., Jenatton L., Gamond J.F., 2003. The Belledonne Border Fault : identification of an active seismic strike-slip fault in the western Alps. Geophysical Journal International, 155, 174-192.

Walpersdorf, A., C. Sue, S. Baize, N. Cotte, P. Bascou, C. Beauval, P. Collard, G. Daniel, H. Dyer, J.-R. Grasso, O. Hautecœur, A. Helmstetter, S. Hok, M. Langlais, G. Menard, Z. Mousavi, F. Ponton, M. Rizza, L. Rolland, D. Souami, L. Thirard, P. Vaudey, C. Voisin, and J. Martinod (2015). Coherence between geodetic and seismic deformation in a context of slow tectonic activity (SW Alps, France), Journal of Geodynamics, 85, 58-65.

Wilhelm, B., et al. (2016), Quantified sensitivity of small lake sediments to record historic earthquakes : Implications for paleoseismology. Journal of Geophysical Research : Earth Surface, 121 (1), 2-16.

 

/// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°36, janvier 2018, à consulter ici

 

Pour en avoir plus, voir la conférence de Philippe Gueguen, directeur de recherche IFSTTAR/ISTerre et docteur en sismologie :



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