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SEISAid-Antilles : Un outil pour anticiper la réponse de sécurité-civile face aux séismes

Publié le 6 octobre 2023

Par Samuel Auclair & Stéphane Nisslé & Didier Bertil & Caterina Negulescu

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SEISAid-Antilles : Un outil pour anticiper la réponse de sécurité-civile face aux séismes
Église de Pormouth en Dominique après le séisme du 21 novembre 2004 (Dominique, Petites Antilles 2004) © D. Bertil - BRGM

En cas de séisme, les autorités ont besoin de disposer très rapidement d’une vision de l’ampleur des pertes potentielles, de sorte à pouvoir anticiper le dimensionnement de la réponse opérationnelle en mobilisant tous renforts nécessaires pour faire face aux urgences. Pour répondre à ce besoin, le BRGM a développé un outil capable, en moins d’une demi-heure, de calculer automatiquement des bilans estimatifs préliminaires du nombre de bâtiments détruits et de blessés à secourir.

De l’alerte sismique à l’aide à la décision

La notion « d’alerte sismique » relève de la surveillance sismologique, et consiste à avertir rapidement les autorités de la survenue d’un séisme par le partage de ses principales caractéristiques que sont sa magnitude, la localisation de son épicentre, et la profondeur à laquelle la rupture s’est initiée.

Le BRGM travaille depuis plus d’une quinzaine d’années au développement de solutions dites de « réponse rapide aux séismes » (...) c’est aujourd’hui aux Antilles, territoire français le plus sismique, qu’a été mise en place la première déclinaison pré-opérationnelle d’un tel outil, dénommé SEISAid-Antilles.

Si cette surveillance sismologique est capitale, non seulement pour la science mais également pour la capacité à détecter et à caractériser au plus vite l’activité sismique, les alertes sismiques décrites ci-dessus demeurent en tant que telles peu exploitables par les autorités de sécurité civile. A moins de pouvoir compter sur le décryptage d’un sismologue formé aux problématiques de gestion de crise, les personnels des préfectures et des services d’incendie et de secours (SIS) ont des difficultés à appréhender le potentiel destructeur d’un séisme par ses seules caractéristiques épicentrales. Par ailleurs, ces paramètres ne contrôlent qu’en partie l’intensité des secousses et les pertes qui peuvent en résulter.

Une projection rapide de la sévérité des dommages, même si elle est imprécise, est pourtant essentielle aux autorités de sorte à entreprendre des décisions adaptées à la situation. Ainsi en est-il par exemple de l’organisation des reconnaissances ciblées, de la priorisation de l’allocation de ressources opérationnelles, de l’anticipation de demandes de renforts, etc. Il s’agit donc de disposer au plus vite de tendances fiables quant à l’ampleur de la crise, plutôt que d’estimations fines nécessitant une synthèse nécessairement plus longue de remontées d’informations en provenance du terrain. L’expérience montre en effet qu’après un séisme destructeur, il faut souvent de nombreuses heures, voire plusieurs jours, pour disposer d’une vision réaliste de l’ampleur globale des bilans humain et matériel. Cette situation est d’autant plus probable pour les territoires ultra-marins que les acteurs de la gestion de crise et du secours pourraient être directement impactés, et ne plus être en mesure d’assurer leurs missions en cas de séisme.

C’est pourquoi le BRGM travaille depuis plus d’une quinzaine d’années au développement de solutions dites de « réponse rapide aux séismes », visant à estimer automatiquement l’ampleur des pertes sur la base de modélisations, et à en restituer les résultats sous formes d’indicateurs utiles pour les acteurs de la sécurité civile. Initiée dans les Pyrénées au milieu des années 2000 (projets Interreg ISARD, SISPyr et POCRISC [1]), cette démarche a connu une accélération en 2018 à l’occasion de la crise sismo-volcanique survenue au large de Mayotte, lorsque des centaines de séismes ressentis par la population se succédaient et que la peur d’un choc destructeur était la plus forte. Mais c’est aujourd’hui aux Antilles, territoire français le plus sismique, qu’a été mise en place la première déclinaison pré-opérationnelle d’un tel outil, dénommé SEISAid-Antilles.

Principe de fonctionnement de l’outil

Le principe général de l’outil SEISAid-Antilles est, sur la base d’une évaluation préliminaire rapide de l’intensité des secousses sismiques, d’estimer l’ampleur des pertes associées de sorte à pouvoir disposer d’une vision anticipée des bilans matériel et humain. L’approche retenue repose sur le croisement entre, d’une part une carte d’intensité réalisée avec le logiciel Shakemap [2] du service géologique américain (USGS) calée en temps-réel sur les mesures sismologiques, et d’autre part un zonage du bâti qualifiant statistiquement sa vulnérabilité à partir des typologies constructives (Figure 1). Cette approche n’est donc pertinente que sur le plan statistique et ne doit pas être appliquée pour évaluer les dommages potentiels d'un bâtiment spécifique. Par conséquent, les résultats ne doivent être exploités qu'à une échelle compatible avec la précision des données saisies, soit ici à l’échelle communale.

A l’instar des communiqués PAGER [3] produits par l’USGS, les résultats de ces estimations viennent automatiquement alimenter un communiqué dont la vocation est de mettre en évidence les impacts opérationnels potentiels de ces bilans, de la façon la plus facilement compréhensible possible pour les destinataires.


Figure 1. Représentation schématique de la réalisation d’un scénario de dommage classique par modélisation tel que retenu pour les bulletins SEISAid-Antilles. ©BRGM
Le principe général de l’outil SEISAid-Antilles est, sur la base d’une évaluation préliminaire rapide de l’intensité des secousses sismiques, d’estimer l’ampleur des pertes associées de sorte à pouvoir disposer d’une vision anticipée des bilans matériel et humain.

S’agissant de la surveillance de la sismicité, celle-ci est assurée aux Antilles par les observatoires gérés par l’IPGP. Dans un souci de fiabilité des informations communiquées, l’IPGP ne diffuse cependant pas à ce jour ses détections automatiques de séismes, lesquelles doivent au préalable être validées par un sismologue. Gage de qualité, cette procédure de vérification est incompatible avec l’exigence de rapidité de production des communiqués SEISAid exprimées par les utilisateurs opérationnels (Tableau 1). Pour cette raison, il a été convenu avec les acteurs locaux que le BRGM procéderait à ses propres détections automatiques préliminaires des séismes, utilisables exclusivement pour la production des communiqués SEISAid-Antilles. Pour ce faire, les enregistrements d’une vingtaine de stations sismologiques temps-réel sont prises en compte, localisées non seulement sur les territoires français, mais également sur les autres îles de l’Arc caribéen[4].

Par ailleurs, la confiance que les utilisateurs d’un tel système de réponse rapide peuvent y accorder nécessite de pouvoir être utilisés régulièrement, non-seulement en cas de fort séisme, mais également pour la réalisation de tests, d’exercices de sécurité civile, ou encore pour appuyer un travail de planification. Aussi, un mode de test a également été développé, permettant d’émettre des bulletins SEISAid-Antilles pour des séismes passés comme pour des événements fictifs.

Un outil pré-opérationnel co-développé avec la sécurité-civile

Afin que l’outil SEISAid-Antilles réponde au mieux aux besoins des autorités en charge de la sécurité-civile aux Antilles françaises, un comité d’utilisateurs a été mis en place, constitué de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC) représentant l’échelon national, de l’Etat-major Interministériel de Zone Antilles (EMIZA) représentant l’échelon zonal, des préfectures de Martinique et de Guadeloupe ainsi que de la préfecture déléguée de Saint-Martin représentant l’échelon territorial, et des Directions de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DEAL) de Martinique et de Guadeloupe.

Ce comité a pu dresser les principales spécifications fonctionnelles de l’outil présentées dans le Tableau 1. Il a en particulier été choisi de ne faire figurer sur les communiqués que deux indicateurs de pertes :

  • Nombre de bâtiments partiellement ou totalement effondrés, donnant une indication sectorielle des priorités pour les activités de sauvetage-déblaiement ;
  • Nombre de blessés, donnant une indication sectorielle des priorités en termes de moyens de secours.

Tableau 1. Besoins exprimés par le comité d’utilisateurs concernant les communiqués SEISAid-Antilles

Répondant à ces besoins, le dispositif mis en place a été testé auprès des membres du comité utilisateurs entre juillet 2022 et mai 2023, avec l’envoi régulier de communiqués factices. Ces tests ont permis de confirmer la robustesse de l’outil et de valider sa pertinence opérationnelle. Bien que les usages des bulletins SEISAid-Antilles puissent différer selon les missions de chaque destinataire, il ressort comme principales plus-values de l’outil :

En situation réelle :

  • La priorisation de l’organisation des reconnaissances (qu’elles soient aéroportées ou conduites sur le terrain) ;
  • L’anticipation de l’organisation de la réponse opérationnelle, principalement en termes d’organisation des secours (dimensionnement, priorisation, sectorisation, prise en compte des contraintes liées à la projection de renforts depuis l’hexagone, etc.).
  • Le support à l’information des administrations centrales.

En préparation / planification :

  • Support à la réalisation d’exercices ;
  • Support à l’analyse de la couverture des risques, et à la définition de scénarios.

Ces tests ont également permis aux destinataires de s’approprier l’outil et d’apprendre à analyser le contenu des communiqués, et à en extraire les informations utiles en aide à la décision.

Par ailleurs, en plus des tests fictifs, deux bulletins SEISAid ont été envoyés au début de l’année 2023 suite à des séismes réels survenus au large de la Guadeloupe. Outre le succès de la procédure de génération et d’envoi automatique des communiqués en moins d’une demi-heure (en l’occurrence en 12 et 10 minutes respectivement pour les séismes du 20 janvier et du 2 février), dans les deux cas les estimations des communiqués SEISAid-Antilles étaient satisfaisantes. Un aperçu du communiqué SEISAid-Antilles envoyé à la préfecture de Guadeloupe après le séisme du 2 février est visible sur la Figure 2.


Figure 2. Courrier électronique d’envoi et communiqué SEISAid-Antilles générés pour la Guadeloupe après le séisme du 2 février 2023 de magnitude 5.0. ©BRGM

Du passage du démonstrateur à l’outil opérationnel

Alors que les principales sources de financement actuelles visent principalement l’amélioration de la connaissance, des outils comme SEISAid incitent par ailleurs à repenser l'articulation entre l’« alerte » à des fins opérationnelles et la « surveillance » à des fins scientifiques.

Consultés à l’issue de la phase de test, les acteurs de la sécurité-civile impliqués ont unanimement souligné l’utilité du dispositif SEISAid-Antilles, ainsi que leur souhait de pouvoir en disposer rapidement en mode opérationnel, comme en témoigne son référencement dans le nouveau plan ORSEC « Séisme » de Guadeloupe révisé en 2023. Pour autant, il est important de reconnaitre que les estimations réalisées de manière totalement automatique sont marquées par une forte incertitude, et doivent donc être considérées comme des estimation préliminaires de premier ordre permettant de répondre pragmatiquement aux besoins d’appui à la gestion de crise.

Véritable aboutissement de la démarche de recherche appliquée conduite par le BRGM en matière d’appui à la gestion de crise, ce passage à l’opérationnel d’un démonstrateur scientifique s’accompagne d’un certain nombre de questions à lever relatives (i) au financement pérenne du dispositif et son maintien en conditions opérationnelles, (ii) à l’intégration de l’outil dans les dispositifs opérationnels, (iii) à son amélioration continue, etc. Alors que les principales sources de financement actuelles visent principalement l’amélioration de la connaissance, des outils comme SEISAid incitent par ailleurs à repenser l'articulation entre l’« alerte » à des fins opérationnelles et la « surveillance » à des fins scientifiques.

Grâce au travail engagé en partenariat avec les services de protection-civile pour identifier les modalités d’un usage opérationnel du dispositif, SEISAid-Antilles devrait pouvoir être pleinement opérationnel à courte échéance. A l’instar de Mayotte, des déclinaisons sont également possibles pour d’autres territoires ultramarins ainsi que pour la Métropole.

 

Retour d'Anne Foll, cheffe du SIDPC de la préfecture de la Martinique, sur l'outil SéisAid-Antilles
Le séisme est un risque majeur redouté en Martinique, territoire situé dans une zone de forte sismicité (Zone 5). Sa soudaineté et son caractère imprévisible rendent cet aléa encore plus anxiogène. Lors d’un séisme majeur, l’organisation de la réponse de sécurité civile est complexifiée par les délais d’évaluation du bilan victimaire et bâtimentaire réalisée sur le terrain. Ce qu’on a pu constater au cours de la phase de test, c’est que la réception des bulletins SEISAid-Antilles arrivait quelques minutes après les secousses simulées , et cela nous a apporté une aide réelle dans la prise de décision en tant qu’autorités gestionnaires de la crise. On a apprécié sa simplicité visuelle et la clarté de l’information, qui permet de prioriser et de cibler les actions à mener, d’estimer les moyens nécessaires aux sauvetages des victimes, et ainsi de gagner un temps précieux dans l’organisation des secours.

 

[1] https://pocrisc.eu/fr

[2] https://earthquake.usgs.gov/data/shakemap/

[3] https://earthquake.usgs.gov/data/pager/

[4] Références des réseaux sismologiques utilisés pour l’outil SEISAid-Antilles : 10.18715/ANTILLES.WI ; 10.15778/RESIF.RA ; 10.7914/SN/CU ; 10.21944/dffa7a3f-7e3a-3b33-a436-516a01b6af3f



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