Mémoire & retour d’expérience | Séisme
Catastrophes naturelles | Réduction de la vulnérabilité
Le 24 août 2016 à 3 h 38, le centre de l’Italie est touché par un violent séisme de magnitude Mw 6.0 sur l’échelle de Richter. La ville d’Amatrice est détruite aux trois quarts et on y dénombre 300 morts, ce qui pour une population d'environ 3 000 habitants est absolument énorme, une quasi décimation. À quelques kilomètres de là, la ville de Norcia (environ 5 000 habitants) est presque intacte avec une seule victime par crise cardiaque.
Le 9 septembre 2016, je me suis rendu sur place et le même jour j'ai pu voir à Amatrice, un centre-ville totalement dévasté, et à Norcia, une ville vivante où seuls quelques dégâts mineurs indiquaient un séisme récent.
Sur le moment, je me suis demandé si ces deux cités avaient bien subi le même séisme, mais en consultant les données sismologiques disponibles, il n'y avait pas de doute possible : les stations sismologiques locales avaient relevé 0.45 g d'accélération au sol à Norcia (à 14 km de l'épicentre) et 0.43 g à Amatrice (à 9 km de l'épicentre).
Par la suite, le 26 octobre 2016, deux nouveaux séismes de magnitude Mw 5.4 et 5.9 sont enregistrés au nord de Norcia. Puis le 30 octobre 2016 à 7 h 40 un très violent séisme de magnitude Mw 6.5 survient. Son épicentre étant à 4 km de Norcia, avec une profondeur de 9 km, il est manifeste que ce nouveau séisme a impacté beaucoup plus fortement Norcia qu'Amatrice.
Les sismologues parlent alors de "séquence sismique". Il ne s'agit plus en effet de répliques du premier séisme mais manifestement d'un ensemble de nouveaux séismes. Cette séquence sismique se prolongera en janvier 2017 par quatre séismes plus au sud d'Amatrice avec des magnitudes Mw comprises entre 5.0 et 5.4.
Les médias ayant indiqué qu'il y avait eu des dégâts à Norcia le 30 octobre et les images de destruction diffusées étant impressionnantes, il m'a semblé important de retourner sur place pour voir ce qu'il en était vraiment. Tout le monde sait qu'en matière de catastrophe, il y a souvent un effet "loupe" des médias qui se focalisent beaucoup sur les endommagements spectaculaires au détriment des points de vue d'ensemble.
Je suis donc retourné à Amatrice et à Norcia le 6 décembre 2016. J’ai pu constater qu'à Amatrice, le séisme du 30 octobre avait "parachevé" les destructions du mois d'août : des immeubles précédemment endommagés étaient maintenant totalement effondrés. Mais j’ai pu aussi constater que les immeubles qui s'étaient bien comportés en août étaient toujours debout.
À Norcia, les églises du centre-ville avaient été très impactées. Elles avaient presque toutes leurs voûtes effondrées, mais tout le reste des bâtiments du centre-ville était plutôt en bon état, avec des dégâts mineurs et sans aucun effondrement. Paradoxalement, à Amatrice les églises étaient moins endommagées que le reste des constructions : une parfaite illustration des effets de site (des effets que l'on sait maintenant prévoir lorsqu'on fait des études préalables de microzonage).
Fort heureusement dans tout le secteur, il n'y avait eu aucune nouvelle victime. À ce sujet, on ne peut que saluer la politique de mise en sécurité des populations de la Protection civile italienne et l'extraordinaire ampleur de tout le réseau des professionnels et des volontaires qui interviennent en Italie en situation post-sismique.
On peut se demander pourquoi un tel écart dans les destructions et les victimes entre Amatrice et Norcia. Pour s'efforcer de répondre à la question il importe de remonter un peu dans l'histoire en s'arrêtant à la deuxième moitié du XIXe siècle.
En effet le 22 août 1859 un violent séisme, d'une intensité estimée à VIII-IX, avait fait à Norcia plus de 100 victimes. Ce séisme avait été suivi d'une commission spéciale dirigée par l'architecte Luigi Poletti qui avait abouti en 1860 au premier "Regolamento sismico" de Norcia. Ce règlement présidera à la reconstruction et au confortement de Norcia avec des règles adaptées. Par la suite, en 1979, un séisme d'intensité comparable sera suivi lui aussi de travaux de confortements parasismiques importants. Depuis 150 ans au moins, à Norcia, la problématique sismique a été intégrée à la construction et on peut en voir des traces visibles à travers toute la ville : tirants, chaînages, contreforts sont partout des éléments perceptibles.
En parallèle à Amatrice, en matière de prévention sismique pendant la même période il ne s'était pas passé grand-chose. Pourtant en 1639 un "Terribile Terremoto" avait déjà détruit complètement la ville et un livre publié à Rome à l'époque parlait de 500 victimes. En 1997, un séisme important avait frappé Assise, situé au nord d'Amatrice et en 2009 c'était l'Aquila qui était impactée au sud. Amatrice, au milieu, ne s'était pas sentie concernée.
Nous sommes sans doute mal placés pour donner des leçons à nos amis italiens. En effet, bien souvent en France, on entend que le risque sismique, ce n'est pas pour nous, c'est pas comme en Italie... mais si on se réfère aux donnés sismologiques disponibles et aux chroniques historiques, les séismes qui ont frappé Amatrice et Norcia sont d'un ordre de grandeur tout à fait envisageable chez nous : Lourdes, Manosque, Nice ou Lambesc peuvent l'attester.
Il est bon aussi de savoir qu'en Suisse, un pays dont les montagnes ne sont pas très loin éloignées des nôtres, un pays où on aime bien faire des statistiques, dans la base de données Katarisk le risque sismique à lui seul représente autant que la somme de tous les autres risques naturels.
Le risque sismique, un risque rare, mais un risque très destructeur, dont il est toutefois possible de se prémunir : c'est peut-être la leçon que l'on peut tirer de Norcia et de la dernière séquence sismique en Italie centrale.
/// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°36, janvier 2018, à consulter ici
Pour en savoir plus, voir la conférence de Marc Givry :
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