Les tsunamis peuvent être déclenchés par différentes sources : une activité volcanique, des glissements de terrain, voire la chute de météorites. Le long des côtes méditerranéennes françaises, l'activité sismique est cependant la principale cause de préoccupation en termes de génération de tsunamis. Les autorités et le Centre National d'Alerte Tsunami (CENALT) portent une attention particulière sur deux zones spécifiques :
Pour cartographier la Zone Terrestre à Évacuer (ZTAE), qui correspond à l’étendue cumulée des zones potentiellement inondées lors des deux scénarios précédemment exposés, une méthode forfaitaire a été appliquée le long des côtes méditerranéennes françaises. Cette approche repose sur des hypothèses scientifiques validées par les autorités compétentes. Ainsi, la ZTAE est définie comme étant la zone située à une altitude inférieure à 5 mètres et à une distance de moins de 200 mètres de la mer le long des embouchures fluviales, avec une extension maximale de 500 mètres au niveau des embouchures (Figure 1). Ces critères intègrent une marge de sécurité afin de prendre en compte les scénarios extrêmes associés à des événements sismiques rares, ainsi que les projections d'élévation du niveau de la mer liées au contexte actuel du changement climatique (Alhamid et al., 2022).
Ce zonage sert aujourd’hui de support cartographique pour les procédures opérationnelles, notamment les plans ORSEC départementaux Tsunami. Elle est aussi utilisée pour planifier les évacuations, en mettant en évidence le fait que l'évacuation à pied constitue l’unique consigne de sécurité visant à déplacer les populations vers l'intérieur des terres. Les sites refuge et les itinéraires pour y accéder sont formalisés sur un plan d’évacuation qui, après validation en concertation avec les acteurs locaux, sont utiles pour dimensionner la gestion des flux de personnes, comme cela est illustré dans le cas de Cannes (Figure 1). En outre, sur le terrain, une signalétique peut être mise en place pour guider efficacement le processus d'évacuation.
De façon complémentaire, l'évaluation du nombre d'individus à évacuer en cas d'un tsunami est une étape primordiale pour la planification des stratégies d'évacuation. Pour autant, elle constitue un défi méthodologique majeur (Carles, et al., 2023). La fréquentation des zones côtières présente en effet une variabilité spatiale et temporelle importante, et les bases de données fournissant des informations sur les déplacements et les flux de population, que ce soit à l'échelle infra-communale ou sur de courtes périodes, sont très limitées.
Pour surmonter ce défi, nous avons retenu deux scénarios de fréquentation simplifiés. Le premier scénario considère une situation nocturne (comptage des résidents par bâtiment), tandis que le second se concentre sur la présence des usagers des plages pendant le pic de la période touristique estivale. Le choix de ces deux scénarios s'explique par la disponibilité de données précises à échelle fine, permettant ainsi une évaluation efficace. Il est important de noter que d'autres configurations pourraient être envisagées, mais nécessiteraient dans ce cas des données coûteuses (Daudé et al., 2021).
La population résidente théorique de la ZTAE a été estimée en utilisant la méthode MAJIC (Mise À Jour des Informations Cadastrales), développée par le CEREMA. Cette méthode repose sur le croisement entre les bases de données spatiales de l'Institut National de l'Information Géographique et Forestière (IGN) (BD PARCELLAIRE et BD IGN) avec les données statistiques de population fournies par l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE). Le principe général consiste à ventiler la population des îlots IRIS (recensement de l’INSEE à l’échelle infra-communale) en fonction du nombre de logements fourni par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) pour chaque îlot. Quant à l'évaluation de la fréquentation des plages, elle a été réalisée au moyen d'un dénombrement basé sur des photographies aériennes prises en août 2021, couvrant le littoral allant du Barcarès (66) à Six-Fours-les-Plages (83). Des comptages manuels ont été effectués sur un échantillon de 27 plages le long d'une étendue côtière de 15 kilomètres. Cette approche a permis d'élaborer une première typologie des plages, qui a ensuite été appliquée à une plus grande échelle.
On estime qu’environ 164 000 résidents vivraient en ZTAE dans les 187 communes étudiées. Plus de la moitié (52,3 %, soit 85 400 individus) sont recensés dans les Alpes-Maritimes et le Var (Figure 2), et la région PACA recense à elle seule 60% du cumul estimé. Le département de l’Hérault (23 900 résidents) arrive en troisième position, devant les Bouches-du-Rhône (16 900 résidents). A l’échelle communale, le nombre de résidents varie en fonction de l’attractivité des villes et de l’urbanisation de sa façade littorale. Les grandes et moyennes agglomérations, (Marseille, Fréjus, La Seyne sur Mer, Toulon, Antibes et Nice) cumulent à elles seules 52,2% des résidents. En Corse, les estimations aboutissent à des valeurs bien plus faibles (18 000 résidents sont recensés dans 100 communes), sauf à Ajaccio (5 700 résidents). Ces résultats confortent l’idée que les marges orientales de la Méditerranée française abritent la majeure partie des résidents habitant en ZTAE, en raison de la dynamique du processus d'urbanisation qui s’est accentuée notamment à partir des années 1970.
En complément, on estime que 830 000 usagers des plages seraient simultanément présents en ZTAE durant le pic de la saison estivale. Pour arriver à une telle estimation, une campagne de prises de vues aériennes a été organisée le 15 août 2021, entre Le Barcarès (66) et Six-Four-les-Plages (83), à bord d’un Ultra Léger Motorisé. Près de 1 762 clichés géolocalisés ont été réalisés. Quatre types de plages ont aussi été définies en fonction de critères issus de la littérature, et pour chaque type de plages, des comptages manuels ont été effectués à partir des photos aériennes, sur un échantillon de 27 plages choisies le long d’un linéaire de côte de 15km, ce qui a permis de tester une première typologie, puis de l’appliquer à large échelle. Les 15 communes ayant un nombre très élevé d’usagers des plages se situent cette fois-ci sur la façade occitane, en particulier dans 3 villes (Sète, Leucate et Canet-en-Roussillon), où le nombre d’usagers dépasserait 29 000 individus. Hyères, Nice et Cannes font partie des rares communes sur la Côte d’Azur où la fréquentation des plages serait aussi très élevée. Ce contraste s’explique ici par l’espace alloué aux activités balnéaires et l’étendue de la plage.
Ces estimations proposées pour deux scénarios confirme qu’il existe de très fortes disparités spatio-temporelles de la fréquentation en ZTAE. Cette variabilité amplifie les écarts entre hautes et basses saisons, mais aussi au cours de grands événements ou dans les communes balnéaires, qui sont susceptibles de devoir organiser une évacuation massive de la population présente. Le festival international pyrotechnique de Cannes illustre cette variabilité puisque cet événement rassemble plusieurs milliers de personnes sur le front de mer tous les samedis entre le 14 juillet et la fin août.
Le 13 avril 2023, nous (une équipe de 12 observateurs) avons pu observer les réactions des populations présentes dans différents endroits publics autour du Vieux-Port de Cannes, lors d’un exercice d’alerte à la population visant à déclencher les haut-parleurs et à envoyer des notifications sur les téléphones portables des individus situés dans la ZTAE. Cet exercice a été piloté par la préfecture des Alpes-Maritimes, en collaboration avec la ville de Cannes et notre équipe. La plateforme FR-Alert [1] a permis l’envoi de notifications sur les smartphones compatibles [2]. A chaque fois, les messages comportaient la mention "Exercice", répétée trois fois au début et à la fin (Figure 3). Aucune action de la part de la population n'était toutefois attendue dans le cadre de cet exercice. Même s’il est impossible de connaître le nombre de smartphones ayant reçu l’alerte avec la technologie Cell-Broadcast (CB), on estime à 3 000 le nombre d’individus présents dans la zone au moment de l’envoi des notifications (Bopp et al., 2023). L’alerte a été diffusée en milieu d’après-midi, au moment où la fréquentation était importante. Deux notifications ont été successivement envoyées à la population, à 16h05 et 16h25, suivies d'un message de fin d’alerte à 16h45. Ces notifications ont été à chaque fois diffusées en français puis en anglais. Vers 16h10 et 16h30, la ville de Cannes a aussi activé les haut-parleurs, soit quelques minutes après l’envoi des notifications. Pour sensibiliser la population cannoise et de passage (touristes, travailleurs, etc), la Réserve Communale de Sécurité Civile (RCSC) de la ville de Cannes a animé un stand. Au total, 65 personnes se sont rendues au stand et ont exprimé leur intérêt à la fois pour l'exercice en cours et pour le risque de tsunami en Méditerranée.
Le contenu du message, y compris l'émetteur, la description du danger, et les consignes à suivre, ont été élaborés en concertation préalable avec la Préfecture des Alpes-Maritimes et la ville de Cannes, en s’appuyant sur les enseignements tirés des exercices FR-Alert suivis depuis juin 2022 [3]. Comme lors des autres expérimentations, les notifications comprenaient un lien vers un questionnaire en ligne disponible en français et en anglais.
Les notifications ont entraîné de la surprise (89%) et de la curiosité (78%), mais également un certain stress (49%) et de la peur (42%), accentuée par le signal sonore des notifications, qualifié de surprenant (90%) et de stressant (69%). En réaction aux notifications, 42% des répondants ont déclaré avoir appelé quelqu'un, tandis que 69% ont regardé autour d'eux, ce qui souligne l'importance de l'authentification de l'origine de l'alerte, même lorsqu'il s'agit d'un exercice (Figure 4). Moins rassurant, 28% des participants ont avoué avoir hésité à réagir, et 31% n'ont pas compris ce qu'ils devaient faire, alors même que les consignes et le caractère expérimental de l'opération étaient clairement indiqués dans la notification.
Estimer les enjeux humains exposés au tsunami, et savoir où et à quel moment les évacuer sont des éléments qui apparaissent aujourd’hui indispensables pour anticiper les dommages et la gestion d’un tel aléa. Le travail mené le long des côtes méditerranéennes françaises se poursuit, et deux constats sont communs à d’autres travaux :
A court terme, ce second point se traduit notamment par :
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’INSHS et l’IRD pour le financement du projet TASOMA [4] (2019-2021). Ils souhaitent adresser leurs remerciements à la Direction de la Transition du Numérique (DTNUM) et au BASEP (Bureau de l’Alerte, la Sensibilisation et l'Éducation des Publics), rattaché au Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, pour leur soutien et leur confiance. Ils remercient également les membres de l’équipe mobilisée lors du test d’alerte (E. Bopp, A. Dalle, P.-A. Ayral, J.-M. Domergue, M. Marlu, L. Boulat, T. Blanchard, D. Ramaroson). Enfin, ils remercient la Ville de Cannes et la Préfecture des Alpes-Maritimes pour l’organisation de cette journée du 13 avril 2023.
Références bibliographiques
Alhamid, A. K., Akiyama, M., Ishibashi, H., Aoki, K., Koshimura, S., & Frangopol, D. M. (2022). Framework for probabilistic tsunami hazard assessment considering the effects of sea-level rise due to climate change. Structural Safety, 94, 102152.
Bopp, E., Douvinet, J., Carles, N., Foulquier, P., Péroche, M. (à paraitre): Spatial (in)accuracy of cell broadcast alerts in urban context: feedback from the April 2023 Cannes tsunami trial. Computers, Environment and Urban Systems,
Carles, N., Péroche, M., Douvinet, J., & Foulquier, P. (2023). Estimation du nombre d’individus à évacuer en cas de tsunami à l’échelle du littoral méditerranéen français. Méditerranée. Revue géographique des pays méditerranéens/Journal of Mediterranean geography.Daudé et al., 2021
Daudé E., Grancher D., Lavigne F., (2021) "Évacuation massive des populations en temps d’épidémie de COVID-19 : comment éviter la sur-crise ?", EchoGéo , Sur le Vif. En ligne : [https://journals.openedition.org/echogeo/20961]
Filippini, A. G., R. Pedreros, A. Lemoine, A. Stepanian, & C. Barbier. (2020). Caractérisation de l’impact des tsunamis d’origine sismique sur le littoral du département des Alpes-Maritimes : sources en mer Ligure et dans la marge maghrébine. 185 p. BRGM. En ligne : [http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-70278-FR.pdf].
Larroque C., Scotti O. and Ioualalen M. (2012). Reappraisal of the 1887 Ligurian earthquake (western Mediterranean) from macroseismicity, active tectonics and tsunami modelling. Geophysical Journal International 190, 1 (2012) 87-104.
Terrier, M., D. Monfort, J. Lambert, S. Le Roy, R. Pedreros, & O. Sedan. (2013). Method for Evaluating Vulnerability to Tsunamis of low-to-medium intensity: Application to the French Côte d’Azur. Journal of Tsunami Society International 32:77 95
[1] Dispositif mis en place depuis juin 2022 en France
[2] On reçoit sur la version 15.1 sur les IPhone, Android version 12 a minima
[3] Projet de recherche entre Avignon Université et la DTNUM (ex DNUM) du Ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer ; synthèse en ligne disponible ici : https://storymaps.arcgis.com/stories/1aa7849e09094cdf9b8936e0faecd52c
[4] « Se préparer face au risque tsunami en Méditerranée française », projet de recherche financé par l’IRD et le CNRS (2019-2021) synthèse en ligne disponible ici : https://storymaps.arcgis.com/stories/caabb106dd684f67ab758e3ec14f2ad5
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