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PFAS à Pierre Bénite : gérer l’incertitude et communiquer en situation de crise

Publié le 7 décembre 2022

Par Jérôme Moroge

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PFAS à Pierre Bénite : gérer l’incertitude et communiquer en situation de crise
Prélèvements au stade de foot de Pierre-Bénite, en face le site d'Arkema © ville de Pierre-Bénite

Le jeudi 12 mai 2022, la pollution aux PFAS dans le sol, l’eau et l'air de Pierre-Bénite, notamment aux alentours des usines d’Arkema et Daikin est révélée de façon publique et médiatique. La ville de Pierre-Bénite organise une retransmission publique du reportage de "Vert de rage" révélant la pollution, à la Maison du Peuple afin que le maire et ses élus répondent aux questions et inquiétudes des habitants. Depuis, le maire a mis en oeuvre une démarche d'information et de communication vers sa population, ainsi qu'un comité scientifique afin d'analyser les prélèvements et obtenir une information fiable.

La pollution aux PFAS (perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées) du sol, de l’eau et de l’air de Pierre-Bénite, a été révélée médiatiquement le 12 mai 2022. Comment et quand avez-vous été informé de la pollution aux PFAS qui touche votre commune ? Quel était votre niveau d’information ? Vous a-t-il semblé suffisant ? 

La première alerte date de l’été 2020, au cours d’un échange avec la journaliste Aude Massiot de Libération. Ce premier article ciblait particulièrement les rejets industriels dans l’eau. En effet à Pierre-Bénite, le Rhône jouxte les usines de la vallée de la chimie. Mon niveau d’information était nul puisque la mairie n'a pas de compétence en la matière et que ces substances n’ont été évoquées dans aucun comité de suivi de site (CSS). Mon cabinet s’est donc rapproché de l’ANSES Lyon puis Maisons-Alfort. L’ANSES a indiqué que les PFAS n’étaient pas inscrits dans le code de la santé publique et que la journaliste n’était pas accréditée pour obtenir plus d’informations.

La première alerte date de l’été 2020, au cours d’un échange avec la journaliste Aude Massiot de Libération. Ce premier article ciblait particulièrement les rejets industriels dans l’eau.

Mes services ont ensuite contacté Eau du Grand Lyon qui gère la distribution de l’eau potable. Les techniciens ont confirmé l’absence de réglementation en vigueur et ont été rassurants sur la probabilité de présence de PFAS dans l’eau potable. L’eau bu par les habitants de la Métropole provient en effet d’un champ captant situé en amont des rejets industriels. La question de la prise en compte des PFAS et du risque pour la population a été posée par écrit et n’a toutefois jamais obtenu de réponse. Ces informations ont été transmises à Libération.

Jérôme Moroge, maire de Pierre-Bénite.

En février 2022, le sujet est revenu par l’intermédiaire de Martin Boudot, journaliste de Vert de Rage. Les prélèvements faits dans l’eau, le sol et l’air semblent démontrer des concentrations inquiétantes. J’ai immédiatement écrit à Olivier Véran, Ministre de la Santé de l’époque qui n’a jamais répondu, ainsi qu’à l’ORS afin de savoir si la concentration de PFAS (décrite comme importante) a des effets sur la santé de ma population. Mes services ont aussi pris attache avec la DREAL et l’industriel avec des réponses qui sont restées longtemps les mêmes « pas de réglementation donc pas de prélèvements de contrôle faits sur ces rejets ». Devant l’absence de réponse du Ministère et d’éléments des différents organismes d’Etat (DREAL, ANSES, santé publique France, ARS), j’ai saisi le Président de la République pour tenter d’obtenir le soutien escompté.

Mes services ont aussi pris attache avec la DREAL et l’industriel avec des réponses qui sont restées longtemps les mêmes « pas de réglementation donc pas de prélèvements de contrôle faits sur ces rejets ».

Comment avez-vous réagi face à la situation ? afin d’avoir des informations fiables sur la situation, qui ont été vos interlocuteurs ? L’intercommunalité a-t-elle été support (Grand Lyon, communes limitrophes, etc.) ?

Tout d’abord, j’étais très inquiet pour ma population et surtout pour les personnes qui vivent à côté des usines incriminés par l’enquête de Vert de Rage puisque pour la première fois des pollutions aux PFAS dans l’air et les sols sont énoncées, ce qui est une nouveauté. Nous avons notamment des jardins ouvriers, deux groupes scolaires à une distance relativement faible des usines ainsi qu’une infrastructure sportive qui accueille du football et de l’athlétisme.

Ensuite il a vite fallu se ressaisir pour comprendre de quoi il est question et tenter de réagir au mieux. Nous ne sommes pas des spécialistes armés pour faire face à ce genre de situation. Il a donc fallu s’entourer, insister auprès des services de l’Etat, échanger avec les industriels, décrocher un rendez-vous téléphonique avec le directeur de l’ARS…etc. Surtout il a fallu s’entourer d’experts et étudier le cadre légal pour découvrir que notre pays est très en retard sur la réglementation des PFAS au niveau européen et international. C’est pourquoi nous avons rapidement réuni un comité scientifique autour du Président de notre Centre de santé qui a vocation de conseil.

Nous avons bien entendu travaillé avec les communes voisines (Oullins, Saint Genis Laval, Irigny, Vernaison et la Mulatière) pour financer des campagnes de prélèvements sur une zone plus large que la seule commune de Pierre-Bénite. Nous avons aussi repris contact avec la Métropole de Lyon qui a publié plusieurs communiqués portant sur la qualité de l’eau potable. Cette aide a été précieuse dans la mesure où la psychose et la confusion l’ont emporté au lendemain de la diffusion du documentaire. Les appels de personnes ne souhaitant plus boire l’eau du robinet se sont comptés par centaines alors que la qualité l’eau distribuée sur la Métropole n’est pas remise en cause.

Nous ne sommes pas des spécialistes armés pour faire face à ce genre de situation. Il a donc fallu s’entourer, insister auprès des services de l’Etat, échanger avec les industriels (...) Surtout il a fallu s’entourer d’experts et étudier le cadre légal pour découvrir que notre pays est très en retard sur la réglementation des PFAS.

Quelle connaissance avez-vous aujourd’hui sur le niveau de pollution ? Quels dispositifs ont été créés ou mis en place afin de suivre l’évolution de la situation ? (Études, comité local scientifique, consultation riveraine, etc.)

Nous ne sommes qu’au début des investigations. Les études se poursuivent notamment sur la présence de PFAS dans l’air et dans les légumes. Il faut toutefois bien avoir conscience que les PFAS se sont disséminés partout sur la planète, on en retrouve même dans l’arctique ! C’est le résultat de plusieurs dizaines d’années de rejets industriels mais aussi d’utilisation dans de nombreux produits de la vie courantes : emballages alimentaires, isolants, mousses anti-feu, vêtements, poêles de cuisson…etc.

Tout l’enjeu est d’établir une méthodologie scientifique qui permette de définir si les concentrations présentes peuvent être nocives pour la santé humaine. Pour ce faire, les scientifiques qui nous épaulent se basent sur des référentiels internationaux, en l’absence de valeurs de références fixées en France. Nous avons mandaté un bureau d’étude qui possède une expérience internationale et travaille avec le laboratoire Eurofins, ce dernier étant compétent pour analyser les échantillons de PFAS.

Nous multiplions les prélèvements avec une priorité sur les terrains municipaux, les ERP et les parcs.


Prélèvements au stade de foot de Pierre-Bénite, en face le site Arkema © ville de Pierre-Bénite

Même s’ils ne sont pas satisfaisants, les premiers résultats sont plutôt rassurants dans la mesure où les valeurs retrouvées sont moindres que ce qui est évoqué dans l’enquête journalistique.

Concernant l’analyse des prélèvements, nous nous appuyons pleinement sur le cabinet de conseils en Environnement ANTEA group car il s’agit de données complexes. En effet chaque PFAS a ses particularités, est plus ou moins toxique, est bioaccumulable ou non. ANTEA échange également avec notre conseil scientifique local qui a été créé au lendemain de la diffusion de l’enquête. Ensemble, ils émettent des recommandations, par exemple, s’agissant de l’utilisation de l’eau des forages qui sont impactés - auparavant utilisés pour le potager municipal mais cette pratique est dorénavant arrêtée.

Quelles remontées des craintes de la population vous sont parvenues et quelles sont ses attentes ? Comment avez-vous organisé/et organisez-vous toujours l’information de la population et la communication sur cette pollution industrielle ?

Les craintes de la population ont été de plusieurs ordres. Tout d’abord cela a concerné l’eau potable. La communication faite tant par la mairie, la Préfecture et la Métropole de Lyon a permis de rassurer assez rapidement. Il y a toujours un sujet qui fait l’objet d’une attention particulière pour les collectivités desservies par les champs captant situées au niveau de Ternay, c’est-à-dire en aval de Pierre-Bénite.

Ensuite, il a fallu gérer le mécontentement des clubs sportifs et la crainte de voir leur réputation atteinte. En effet, en l’absence de conseils de la part des organismes d’Etat, je me suis appuyé sur le principe de précaution pour fermer l’infrastructure sportive (terrain de foot et piste d’athlétisme) ciblée par l’enquête journalistique. Après des échanges rassurants avec la direction de l’ARS, nous avons réouvert cette installation.

L’inquiétude s’est aussi portée sur l’alimentation puisque nous possédons un potager municipal qui fournit nos cantines. Nous avons décidé de suspendre l’approvisionnement le temps des investigations.

Nous avons également créé une « commission générale » qui réunit les élus municipaux, la direction de notre Centre de Santé, la DREAL, le cabinet ANTEA qui mène nos prélèvements et l’association de riverains, Bien vivre à Pierre-Bénite (...) qui présente régulièrement les résultats obtenus aussi bien par la commune que par l’Etat.

Pour la communication globale, nous avons choisi d’être actifs et de ne pas attendre indéfiniment des réponses à nos interrogations.

Nous avons retransmis Envoyé Spécial en direct au théâtre municipal. Cette initiative a été bien accueillie et a été suivie d’un temps d’échange. A la découverte du documentaire, j’ai décidé de déposer plainte contre X, j’ai annoncé cette intention dans une vidéo diffusée sur nos réseaux sociaux. Par la suite, nous nous sommes efforcés de répondre au mieux aux nombreux mails reçus à la mairie, avec le peu d’éléments en notre possession. Nous avons ensuite utilisé une communication plus descendante via la diffusion de communiqués de presse sur notre site internet et nos réseaux sociaux.

Nous avons également créé une « commission générale » qui réunit les élus municipaux, la direction de notre Centre de Santé, la DREAL, le cabinet ANTEA qui mène nos prélèvements et l’association de riverains, Bien vivre à Pierre-Bénite, ayant collaboré sur le documentaire. Le but de cette instance est de présenter régulièrement les résultats obtenus aussi bien par la commune que par l’Etat. Plusieurs acteurs partagent ainsi leur analyse et confrontent leur méthodologie. C’est une formule qui nous paraît importante pour assurer la nécessaire transparence et dépassionner le débat.

En outre, nous dédions systématiquement un espace du journal municipal à cette problématique.

Une réunion publique s’est tenue le 24 octobre pour informer les habitants sur l’avancée des études. Résultats : Les analyses de la DREAL et du groupe Antéa sont moins alarmantes que les résultats présentés par l’équipe « Vert de Rage ». Elles montrent la présence de PFAS dans les forages concernés mais ceux-ci n’alimentent pas l’eau potable de Pierre-Bénite. Pour le potager urbain, des traces de perfluorés ont été retrouvées dans les tomates, mais à ce jour le potager n’est plus arrosé par l’eau provenant des forages impactés. Ce rendez-vous s’inscrit dans le même esprit que la diffusion au théâtre municipal. C’est un moment qui permet d’échanger, d’écouter et de répondre directement aux administrés avec les informations dont nous disposons. Maintenir le dialogue est primordial lorsque l’on parle de la santé des gens.

Réunion publique du 24 octobre 2022 © ville de Pierre-Bénite

Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées/ ou que vous rencontrez encore afin d’assurer la transparence sur cet incident ?

La principale difficulté rencontrée a été, comme lors de chaque crise, d’avoir un accès rapide à l’information pour pouvoir communiquer auprès de la population. Nous n’avions ni données à disposition, ni compétence technique en interne, si ce n’est nos recherches dans des articles de presse et dans l’étude ESTEBAN [1] publiée sur le site Santé publique France. Malgré l’urgence et l’ampleur du sujet, il a été très difficile de prendre contact avec les autorités sanitaires, plus de trois mois se sont écoulés entre mes premiers courriers en février et la diffusion du documentaire en mai. Malgré ce délai important, j’ai l’impression que ni l’Etat, ni les collectivités n’étaient prêtes pour apporter des éléments de réponse de nature à rassurer et à démontrer que la problématique faisait bien l’objet d’un intérêt particulier.

Malgré l’urgence et l’ampleur du sujet, il a été très difficile de prendre contact avec les autorités sanitaires, plus de trois mois se sont écoulés entre mes premiers courriers en février et la diffusion du documentaire en mai.

Très récemment, j’ai été contacté par le cabinet de Madame la ministre déléguée, Agnès Firmin Le Bodo, auprès du ministre de la Santé et de la Prévention, chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé. Nous avons convenu de rester en contact pour le suivi de ce dossier et obtenu l'assurance de leur présence lors des réunions publiques organisées pour informer la population, une aide nous sera également fournie par ses services pour la mise en lien avec les organismes d’État.

[1] Une étude nationale de Santé publique France dont le but est de connaître, mesurer et cartographier des données de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition



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