Mémoire & retour d’expérience | Risque industriel
Cet événement [1] a commencé le lundi matin vers 8 h quand le produit en phase d’ajustage final est devenu instable. À 10 h, l’exploitant déclenche le POI (Plan d’opération interne). La préfecture, la DREAL, et même le ministère en charge de l’Écologie sont alertés. La directrice de cabinet du préfet intervient dès 11 h 40 auprès de France Bleu. Le PPI (Plan particulier d’intervention) est déclenché. Les cellules de crise ministérielles sont mises en place. Les premiers communiqués de presse ministériels et de l’exploitant industriel paraissent à partir de 14 h. L'accident commence à être cité dans la presse internationale.
Dès 14 h 15, la préfecture active le système d’alerte automatique pour informer les 33 communes situées sous le vent au moment de l’événement.
La préfecture publie deux autres communiqués de presse dans la journée afin de faire le point sur l’évolution de la situation, en insistant sur le caractère non toxique de l’odeur.
Les standards des services de secours sont saturés : près de 5000 appels concernant l’odeur ressentie sont reçus dans l’après-midi.
L’information circule sur les réseaux sociaux avec des hashtags comme "#HorribleCetteOdeur" et "#nomdelexploitant".
Le lendemain, l’odeur atteint l’Angleterre et Paris où les pompiers reçoivent 10 000 appels.
Une conférence de presse est donnée dans l’après-midi en préfecture. Un match de football de ligue 1 prévu le soir même est annulé. Les riverains s’interrogent : pourquoi ne ferme-t-on pas alors les écoles ?
La ministre en charge de l’Écologie arrive sur le site. Elle intervient le lendemain sur des radios nationales et est interrogée par l’Assemblée nationale.
Les conférences se suivent, relayant des messages étant perçus comme contradictoires :
Le 24 janvier, la préfecture indique que le produit est toxique à haute concentration, alors que précédemment elle indiquait que le gaz n’était pas toxique.
La population sous les vents présente pour certains des symptômes tels que nausées, vomissements, vertiges, maux de tête.
L’exploitant tente plusieurs procédés de neutralisation de son produit, sans succès les premiers jours, puis la solution est trouvée. Les rejets odorants se poursuivent, mais en forte diminution. Il faudra seize jours à l’exploitant pour neutraliser, vidanger et nettoyer l’ensemble des installations, et stopper les émanations perceptibles.
Lors d’événements importants, de nombreux acteurs participent à la communication comme schématisé ci-dessous :
- Au moment de la crise, l’exploitant est monopolisé par la gestion technique de l’événement. Il est donc peu disponible pour informer et communiquer ;
- Le scénario à venir n’est pas connu jusqu’à la maîtrise de l’événement. L’exploitant ne sait pas comment peuvent évoluer les conséquences ;
- Le vocabulaire utilisé, souvent vulgarisé, peut aboutir à des imprécisions ou des généralisations qui génèrent du doute dans les propos officiels ;
- Le ton des messages doit être adapté au ressenti des gens (dire que le gaz n’est pas toxique et qu’il n’y a rien à craindre alors que les gens se plaignent de vomissements et nausées n’est pas adapté) ;
- La cohérence des messages entre les différents acteurs communicants n’est pas vérifiée, le ressenti des gens, et les mesures prises (gaz non dangereux mais confinement ou interdiction de match) ;
- L’information "officielle" (exploitant, préfecture) rencontre une certaine inertie, nécessaire à la qualité et à la fiabilité de l’information à diffuser, mais en décalage avec l’attente des riverains.
- Importance de prêter attention aux signes annonciateurs d’une crise médiatique (signaux faibles) tels que :
* multiplication des appels aux standards des services de secours,
* informations alarmistes qui circulent dans les réseaux sociaux,
* appels d’élus ou de journalistes en préfecture.
- Les réseaux sociaux. Grâce à eux, les riverains deviennent acteurs de la communication de crise. L’écoute des réseaux sociaux permet de « sentir » ce qui se passe mais ils sont aussi :
* un atout : il permet de noter les conséquences de l’événement géographiquement et temporellement ;
* un inconvénient : les rumeurs et fausses informations peuvent se propager très rapidement si elles ne sont pas rapidement démenties.
Attention : le plus grand danger est présent quand les réseaux sociaux diffusent des informations sur l’événement et son évolution avant vous.
Suite à cet événement, le CGEIET a établi, sur demande du ministère, un rapport [3] listant certaines recommandations à partir du constat suivant :
Ne s’agissant pas d’un accident majeur au sens "directive Seveso" du terme, les procédures de gestion de crise et de communication n’étaient pas adaptées à l’événement de type "incommodant" et très étendu géographiquement. La communication constitue un enjeu essentiel dans la communication de crise.
Ainsi, le CGEIET recommande :
- une coordination au niveau de l’échelon local (préfet de département) de la communication de crise afin de garantir sa cohérence ;
- la mise en place d’une information privilégiée pour un deuxième cercle composé de "sachants", tels que syndicats et associations (membres du CODERST [4] ou de la commission de suivi de site) ;
- la généralisation de l’utilisation de réseaux sociaux pour la communication de l’État.
La communication lors de la survenue d’une crise doit prendre en considération les phases de perception traversées par les riverains et s’y adapter. Ces phases sont entre autres :
- Une phase de stupéfaction lors de la survenue de l’événement. Il s’agit d’une phase émotionnelle. La communication rationnelle est difficile car inaudible ;
- Une phase de défiance : le public met en doute les messages officiels. De fausses nouvelles sont diffusées par les réseaux sociaux.
La communication doit être réactive afin de coller à la réalité de la situation et d’anticiper ses évolutions possibles. L’auditeur doit avoir confiance dans les messages qu’il reçoit.
Ainsi, il est important de préparer des fiches réflexes de communication reprenant les messages types et le vocabulaire précis à utiliser. Ces fiches doivent intégrer des éléments de vulgarisation et de pédagogie et s’adapter aux différents canaux d’information : presse, radio et réseaux sociaux.
Concernant ces derniers, leur utilisation pour diffuser l’information, nécessite de détecter et d’étouffer les rumeurs avant qu’elles ne soient relayées.
Par exemple, la préfecture de Police de Paris utilise son compte Twitter, qui dispose de 400 000 abonnés en décembre 2018, pour relater des alertes [5]. Certaines entreprises et même des préfectures font appel à des cabinets spécialisés dans la détection des fausses rumeurs sur les réseaux sociaux.
Mais pour gérer les réseaux sociaux en temps de crise, il faut avoir une « task-force » capable de réagir avec célérité, presque en "instantané", aux messages. Cela impose de "court-circuiter" les circuits de validation.
La communication dans les réseaux sociaux ne doit pas se faire au détriment de la communication "maîtrisée" par le biais des médias traditionnels.
La préparation à la communication de crise se fait aussi par la communication à froid sur les risques induits par l’établissement, la mise en place de visites du site, tout cela permet de rassurer les riverains. Grâce à cette transparence sur les activités de l’entreprise et les risques induits, l’exploitant donne confiance aux riverains dans les messages en cas de crise.
- rédiger des fiches réflexes comportant les messages types et le vocabulaire précis et compréhensible ;
- prévoir les différentes situations susceptibles d’être rencontrées ;
- anticiper les questions susceptibles d’être posées afin de préparer les réponses ;
- comme pour les exercices simulant les accidents industriels, faire des exercices de communication de crise "grandeur nature" ;
- définir l’équipe de communication de crise (avec astreintes). C’est une difficulté pour les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas les moyens ;
- définir "LE" porte-parole ;
- clarifier les contacts et la communication avec les autres acteurs ;
- obtenir des contacts avec les médias ;
- donner confiance en réalisant de la communication à froid ;
- les exploitants peuvent aussi se procurer le « kit de communication à chaud » réalisé par France Chimie [6].
Note :
[1] Barpi. Film “De l’incident à la crise médiatique” [En ligne] URL : https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/video/films/film-de-lincident-a-la-crise-mediatique/ [Consulté le 15/01/2019]
[2] Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies
[3] SAUZEY Philippe, MÉNORET Bernard, RAVERAT Laurent, et al., 2013. Organisation de l'alerte, de l'information et de la gestion de crise en cas d'accident industriel dans la perspective de la création d'une force d'intervention rapide. IGA, CGEDD, CGEIET, 77p.
[4] CODERST : Commission départementale des risques sanitaires et technologiques
[5] Préfecture de police de Paris. Compte Twitter [En Ligne] URL : https://twitter.com/prefpolice?lang=fr [Consulté le 15/01/2019]
[6] Union des Industries chimiques, 2016. Kit de communication à chaud : un incident survient sur site : comment communiquer ?, Union des Industries chimiques, 17 p.
/// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°38, mars 2019 de l'IRMa
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