Mémoire & retour d’expérience | Crue / Inondation
L’existence d’un lac dans la plaine du Bourg d'Oisans, aujourd’hui disparu, est attestée par des documents d'archives depuis le XIIème, jusqu'au XVIIème siècle. Son histoire commence avec la fonte du glacier de la Romanche, il y a environ 25 000 ans, et a pu être reconstituée récemment grâce à une approche interdisciplinaire du sujet (« Les quatre anciens lacs de l'Oisans (Alpes françaises du Nord). In: Revue de géographie alpine, tome 85, n°1, 1997. pp. 33-52. » [2]).
« l'ancien lac d'Oisans occupait plus ou moins entièrement ce que l'on nomme aujourd'hui la « plaine d'Oisans » ou « plaine de Bourg-d'Oisans », partie élargie de la vallée de la Romanche entre la Véna en aval et le confluent du Vénéon en amont, dont un diverticule remontait la basse Eau d'Olle jusque vers Oz ». Cette nappe d'eau dans la plaine d'Oisans a été de taille variable au cours du temps, et nommée de différentes façon pendant ces laps de temps : lac de l'Oisans, lac de la Véna, lac des Clots, lac St Laurent. Sa taille a atteint 12,4 km de long et jusqu’à 741 m de hauteur. Au XIVème siècle, le lac est navigable et un port s'y développe.
Ci-dessous une coupe longitudinale chronostratigraphique et paléogéographique des anciens lacs de l'Oisans (Echelle verticale = échelle horizontale x 20), tirée de l'article de M. Bailly-Maître, G. Montjuvent et V. Mathoulin [2] illustre les différentes tailles de ce lac
Le 10 août 1191, surviennent de violents orages et pluies qui entraînent la formation de deux cônes de déjection formés de matériaux charriés par les torrents de la Vaudaine, qui descend du massif de Belledonne, et de l'Infernet qui descend du massif du Taillefer. Selon Raoul Blanchard [1], ces cônes, de taille conséquente, se rejoignaient alors dans le lit de la Romanche au niveau de la Vena, formant un barrage naturel permettant la formation du lac de l'Oisans.
L'ancienne commune Saint-Laurent-du-Lac fut inondée lors de cet épisode, et les habitants durent se déplacer plus haut, sur le cône de déjection du torrent de Saint-Antoine.
Quatre documents de l'époque, un mandement épiscopal, un exemplum, un passage d’encyclopédie, un extrait de chronique rendent compte de l’événement.[3]
Le 14 septembre 1219, la digue naturelle du lac de l’Oisans formée par ces cônes de déjection cède et la ville de Grenoble est submergée par une vague dans la soirée. De nombreux habitants furent surpris dans leur sommeil. L'inondation se déroula en deux temps : tout d'abord, ce sont les eaux du lac de l'Oisans qui se répandirent sur la Ville. Puis, un mouvement de ressac de l'Isère, frappa violemment Grenoble dans un deuxième temps et emporta le pont qui reliait les deux rives de l'Isère entre Grenoble et le quartier Saint-Laurent. Le pont se nommait alors le pont Saint-Hugues, du nom de l'évêque qui le fit construire au XIIème s. Saint Hugues Ier de Châteauneuf. Celui-ci ne fut reconstruit qu'en 1267. Les eaux montèrent jusqu'à 9 ou 10m au-dessus du lit de l'Isère.
S'il n'y a pas de chiffres précis, les sources d'archives, notamment le témoignage de l'évêque de Grenoble, Jean de Sassenage, laissent supposer que des milliers de personnes sont mortes durant cette catastrophe. En effet, à cette période, une grande fête, la fête de la Sainte-Croix se tenait à Grenoble.
Dans son mandement, l'évêque, décrit la catastrophe : « le jour de l’Exaltation de la sainte Croix, dans le premier silence de la nuit, (...) le barrage qui retenait le lac de l’Oisans s’étant rompu violemment, conduisit un déluge d’une telle fureur, d’une telle violence, dans un tel rugissement et un tel bruit que tous, à son écoute, désespérant de la vie, abandonnèrent tout, ne pensant qu’à sauver leur propre personne. Certains montèrent sur l’église la plus importante et sur son clocher ; certains occupèrent nos maisons et celles de nos vénérables frères les chanoines ; certains montèrent sur les tours et les maisons les plus hautes et les plus solides de la ville, et restèrent non sans peine sur les toits des maisons, durant cette nuit de malheur ; et ce, jusqu’à l’aube, dans l’angoisse. » [4]
Après cette terrible inondation, le 14 septembre 1220, les survivants, sous l'impulsion de l'évêque, se rendirent sur la colline de Parménie à la chapelle, en pélerinage pour remercier la Vierge de les avoir épargnés. Pour accueillir ces pélerins, un village fut construit : Beaucroissant. Depuis lors, la foire de Beaucroissant a accueilli pélérins et commerçants, jusqu'à devenir la foire telle qu'on la connaît aujourd'hui.
Le lac de l'Oisans, se reconstituait au gré des opturations engendrés par les matériaux amenés par les torrents, et d'autres débâcles du lac, mais de moindre importance, eurent lieu en 1465, en 1612 et en 1666.
Auparavant, peu après l'inondation de 1219, fut signée la première charte de franchise en 1226. Par l'extension des limites de la ville de Grenoble au quartier Saint-Laurent, sur la rive droite de l'Isère, elle permettait un accès à la montagne, le Mont Rachais, et donc à la population de trouver refuge et sécurité en hauteur, en cas de futures inondations.
En 1377, un projet de digue contre le Drac fut imposé mais les habitants de Seyssins et Seyssinet les détruisirent l’année suivante par crainte d’être sacrifiés pour protéger Grenoble.
Ce n’est qu’à la fin du XVII e siècle que le lac disparut définitivement. La première carte à ne plus faire figurer le lac d’Oisans est celle de Nicolas de Fer en 1693, nommée la carte du "Dauphiné distingué en ses principales régions et parties".
Dès la fin du XVIIIè siècle, ce qu'on pourrait appeler un début de politique publique de prévention des risques prend forme. En 1780, le lieutenant général de police de Grenoble, propose des « Soins à prendre lorsque la ville de Grenoble est menacée d’inondation » soit neuf mesures à mettre en oeuvre. [5]
À la même période, la Romanche est endiguée et en 1848 la plaine d'Oisans est asséchée.
« 800 ème anniversaire de la catastrophe du St Laurent » retrace l'histoire de l'inondation de 1219 : http://www.musee-bourgdoisans.fr/p/le-lac-aint-laurent.html
→ Entrée libre
Enfin, l'association Freynetique propose une vidéo, sur Youtube, de simulation de visualisation du lac d'Oisans, tel qu'il aurait été à l'époque...
[1] Blanchard Raoul. Le lac de l'Oisans. In: Recueil des travaux de l'institut de géographie alpine, tome 2, n°4, 1914. pp. 427-449. DOI : https://doi.org/10.3406/rga.1914.4826
[2] Bailly-Maître Marie-Christine, Montjuvent Guy, Mathoulin Véronique. Les quatre anciens lacs de l'Oisans (Alpes françaises du Nord) / The four paleolakes of Oisans (French Alps). In: Revue de géographie alpine, tome 85, n°1, 1997. pp. 33-52. https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1997_num_85_1_3898
[3] BERLIOZ, Jacques. Une catastrophe en Dauphiné (septembre 1219). Témoignages contemporains In : Milieux naturels, espaces sociaux : Études offertes à Robert Delort [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1997 (généré le 04 septembre 2019). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/psorbonne/27536
[4] Mandement de Jean de Sassenage, évêque de Grenoble, aux prieurs, chapelains, et recteurs, clercs et laïcs de son diocèse sur le « déluge » causé par le lac de l’Oisans, septembre 1219 (trad. d’après l’éd. M. Guettard, Mémoires sur la minéralogie du Dauphiné, 2, Paris, 1779, n. 1, p. 452-54) cité par Berlioz, J. 1997. Une catastrophe en Dauphiné (septembre 1219). Témoignages contemporains. In Morenzoni, F., & Mornet, É. (Eds.), Milieux naturels, espaces sociaux : Études offertes à Robert Delort. Éditions de la Sorbonne. doi :10.4000/books.psorbonne.27536 https://books.openedition.org/psorbonne/27536
[5] Anne-Marie Mercier-Faivre, Chantal Thomas. L'invention de la catastrophe au XVIIIe siècle - Du châtiment divin au désastre naturel. Genève, Droz, (Bibliothèque des Lumières), 2008, 544 p.
2008. Voir la liste des mesures de 1780 sur Google Books : https://tinyurl.com/y4sel5r2
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