Politiques publiques | Crue / Inondation
GEMAPI | Mesures de protection
C’est depuis le 1er janvier 2018 [1] que la compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) a été obligatoirement intercommunalisée, au moins pour les items 1, 2, 5 et 8 des tâches énumérées dans l’article L. 211-7 du Code de l’environnement, non sans moult débats sur les frontières de ces attributions (en matière de submersion marine, de coulées de boues, de ruissellement dans les cours d’eau intermittents ; gestion de la remontée des nappes…).
Notre territoire national s’est couvert ensuite de syndicats mixtes (non labellisés et/ou EPAGE et/ou EPTB) [2]. Chaque territoire a son architecture, séparant ou gérant de manière unie les compétences GEMA, d’une part, et PI, d’autre part.
Et en sept ans, un chemin énorme a été accompli, la plupart des acteurs ayant réalisé à quel point, surtout avec le changement climatique, une gestion coordonnée s’impose entre tous les acteurs du grand (GEMAPI et cours d’eau ; mais aussi acteurs des eaux pluviales, de l’agriculture, de la désimperméabilisation urbaine…) et du petit cycle (eau et assainissement) de l’eau. L’âge de raison… Sauf que les outils pour faire travailler tous ces acteurs, s’ils sont multiples [3], restent souvent malaisés.
Mais s’agissant des digues, la révolution copernicienne est à chercher plus loin. Non pas sept ans en arrière, mais dix ans.
Car c’est bien à un changement total de mentalités qu’appelait le « décret digues », 2015-526, du 12 mai 2015 [4]. Via des systèmes d’endiguement et des aménagements hydrauliques, la prévention des inondations ne se fait plus en raisonnant « de manière techno » ouvrage par ouvrage, digue par digue, enrochement par enrochement, mais zone à protéger par zone à protéger. En fonction de l’historique des crues, certes, mais aussi du nombre de personnes à protéger, et surtout en fonction de tous les outils disponibles (champs d’expansion des crues, plans communaux et/ou intercommunaux de sauvegarde, etc.).
En réalité, cette révolution est plus ancienne encore, car cela fait au moins vingt ans que sur le terrain, élus et agents avaient dépassé, par exemple en matière de prévention des inondations, la vision classique où l’on contient les eaux avec des digues ou des enrochements, et ce en agissant sur les reboisements, les réinstallations de haies bocagères, l’acceptation de champs d’expansion des crues en conventionnant avec les exploitants agricoles, etc. Non sans difficultés juridiques pour trouver, à chaque fois, un cadre juridique et financier adapté.
Reste que pour la gestion des digues elles-mêmes, l’héritage du passé n’est pas aisé à assumer. Il a fallu :
À court terme, la compétence GEMAPI accroit la responsabilité des élus et des cadres territoriaux puisqu’il s’agit d’une compétence élargie. Qui dit compétence plus large, dit domaines plus nombreux où une carence, une négligence ou une imprudence peut, après coup, être évoquée par une éventuelle victime. Et, sur un grand territoire, il sera plus difficile d’accuser plus ou moins distinctement « l’amont » d’avoir mal fait son travail en cas d’inondation… Ajoutons aussi que les acteurs de la GEMAPI en charge de digues ont souvent le plus grand mal à trouver à s’assurer [8]…
La compétence GEMAPI semble donc accroitre la responsabilité des acteurs locaux, mais c’est un trompe-l’œil. En fait, elle la restreint à terme. En effet :
Cette ligne de défense en termes de responsabilité sera aussi utile au pénal au sens de la grille de la loi « Fauchon »[9] selon laquelle il importe de distinguer deux situations en matière d’infractions commises, non pas volontairement, mais par négligence ou par imprudence :
Mais en matière de responsabilité pénale concernant les inondations, il ne faut tout de même pas attendre du juge pénal une mansuétude excessive [10]. Le juge administratif, lui, en ces domaines, a bâti une jurisprudence subtile, entre zones (aucune protection n’est due en zone non constructible quand l’inondation est fréquente) et entre acteurs puisque l’inondation peut être imputable à l’autorité gemapienne, mais aussi aux autorités en matière de voirie, d’eaux pluviales urbaines, à ceux qui ont imprudemment rendu telle ou telle zone constructible, aux pouvoirs de police… [11].
D’où l’importance de hiérarchiser les risques pour montrer sa prudence, en ces temps de hautes eaux aquatiques et de basses eaux financières…
[1] Non sans de multiples tâtonnements législatifs dont notre pays a le secret (avec notamment la loi n° 2017-1838, dite Fesneau-Ferrand, du 30 décembre 2017).
[2] Établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau ; établissement public territorial de bassin.
[3] Planification (SAGE et SDAGE) ; structures en commun notamment par des syndicats mixtes ; conventions avec divers outils possibles selon les cas…
[4] Vite complété par divers textes, dont deux arrêtés du 15 mars 2017 (NOR : DEVP1701365A et NOR : DEVP1701529A), par un arrêté du 3 septembre 2018 (NOR : TREP1800558A), puis par l’important décret no 2019-119 du 21 février 2019 et par un arrêté du 30 septembre 2019 (NOR : TREP1917593A). Voir aussi les décrets décret n° 2019-895 et n° 2019-896 du 28 août 2019.
[5] Attention alors à penser au suivi et à l’information pour le cas où des personnes en situation de handicap ou de très jeunes enfants seraient en rez-de-chaussée en zone devenue un peu inondable).
[6] Avec parfois des responsabilités conjointes fort délicates à gérer. Voir par exemple l’article R. 214-123 du code de l’environnement CE, 10 juillet 2020, n° 427165.
[7] La gestion de ces digues par l’État était dans un premier temps supposée être faite au nom des acteurs de la Gemapi (article 59 de la loi MAPTAM n° 2014-58 du 27 janvier 2014, modifiée). Puis le transfert a eu lieu au 29 janvier 2024 (décret n° 2023-1074 du 21 novembre 2023 ; décret n° 2023-1075 du 21 novembre 2023) dans des conditions fort décriées par les acteurs de terrain.
[8] Sur ce point, lire l’intervention de M. Chrétien aux pages16 à 19 du présent numéro.
[9] n° 2000-647 du 10 juillet 2000 (insérée dans les disposions, aujourd’hui, à l’article 121-3 du Code pénal.
[10] Voir par exemple pour une responsabilité pénale de la personne morale (ce qui en droit était tout de même surprenant s’agissant de cette compétence) : cass. crim., 24 octobre 2017, 16-85.975, au bulletin
[11] Sur ce point, renvoyons au chapitre 10 que nous avions écrit dans l’ouvrage collectif « Compétence GEMAPI » de 2019 aux éditions Législatives et aux nombreuses jurisprudences qui y étaient citées.
// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°48, mai 2025, à consulter ici ou là :
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