Politiques publiques | Crue / Inondation
Les inondations de 2016, où le musée Girodet de Montargis a subi de très graves dégâts, où plusieurs milliers de personnes et d'entreprises ont été sinistrées, nous ont donné un avant-goût des conséquences dommageables d’une crue centennale de la Loire ou de la Seine. Depuis, les inondations se répètent, et les dommages s’aggravent. On estime aujourd’hui à plus d’un milliard d’euros le coût des indemnisations reversées annuellement au titre du régime spécifique d’assurance vis-à-vis des diverses catastrophes naturelles. Quand le patrimoine culturel est aussi atteint, ces biens, qui font notre identité nationale ou locale, peuvent être irrémédiablement perdus, bien qu'ils soient souvent irremplaçables, ou endommagés de manière très importante.
Près d’une commune sur trois en France est partiellement ou totalement inondable. La menace est partout ; l’évolution du climat va accentuer les précipitations.
Or, si la majorité de ces communes sont dotées d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRi), celui-ci s’attache principalement à limiter, voire interdire, la construction de logements en zone d’aléa fort afin de ne pas faire exploser le fonds d’indemnisation. En revanche, aucune prescription ou recommandation ne vise expressément les biens culturels.
En Europe, après les inondations de Prague en 2002, celles de Dresde, ou de Varsovie, ces pays se sont alors retournés vers l’Union européenne et le Fonds de solidarité européen (FSE) afin de pouvoir se reconstruire.
A la suite et devant le constat du coût élevé des réparations, l’Europe a adopté une directive en 2007 obligeant chaque Etat membre à réduire les conséquences dommageables des inondations vis-à-vis de la santé humaine d’abord puis des enjeux économiques, environnementaux et culturels.
En France, en juillet 2014 a été adoptée une stratégie nationale de gestion des risques d’inondation (SNGRi) ; les collectivités s’organisent aujourd’hui dans le cadre de stratégies locales (SLGRi) et de plans d’actions pour la prévention des inondations (les PAPI). Ainsi, 122 territoires à risques importants ont été retenus pour prioriser les actions. Mais à nouveau, on note très souvent l’absence de prise en compte du patrimoine culturel, à l'exception par exemple de l’établissement public Loire (EPL) qui propose une méthodologie d’évaluation de la vulnérabilité d’ensembles monumentaux et des modalités pour leur mise en sûreté en cas de crue, ou l’Etablissement Public Territorial de Bassin (EPTB) Seine Grands Lacs qui sensibilise les autorités et les riverains aux conséquences d’une crue centennale.
Par ailleurs, il existe deux démarches complémentaires de la réponse de sécurité civile de l’Etat qui intéressent directement les biens culturels : le plan communal de sauvegarde (PCS), élaboré sous la responsabilité du Maire, et le plan particulier de mise en sûreté (PPMS) à la charge des responsables de lieux abritant des personnes vulnérables comme les établissements scolaires ou sanitaires.
Ces dispositifs sont inscrits dans le Code de la sécurité intérieure qui replace le citoyen comme acteur et non comme unique destinataire des secours. Il y a nettement nécessité d’une culture du risque qui permette à chacun de faire face en cas de danger ou d’alerte.
Ainsi, il faut encourager les Maires à identifier dans leurs PCS les éléments culturels qui constituent le patrimoine de la commune et à définir les dispositifs pour en assurer leur sauvegarde en cas d’inondation. De plus, chaque responsable des biens ainsi identifiés, doit évaluer les conséquences possibles et élaborer la réponse la plus adaptée dans son Plan de Sauvegarde des biens culturels (PSBC).
Un exercice annuel doit être organisé, pour tester les dispositions envisagées.
L'objectif est de préserver un héritage par définition irremplaçable, mémoire des générations passées, et essentiel au devenir d’un territoire. Élaborer un PCS et un PSBC permet d’anticiper la crise et d’en minimiser les dégâts. Les œuvres prioritaires sont identifiées, et les lieux de repli fixés. De plus en plus, les plans des établissements répertoriés (ETARE) élaborés par les SDIS se complètent, en visant non seulement la sécurité des personnes et aussi l’évacuation des œuvres ; le Schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACRE) peut être toujours amélioré !
Cette approche est nécessaire, car notre patrimoine est un facteur majeur de notre résilience collective et individuelle. C’est la perte de l’album familial de photos que les sinistrés regrettent le plus.
Le patrimoine culturel est aussi facteur de lien social comme le démontre le succès des Journées européennes du patrimoine. Le patrimoine culturel, c'est le bien et l'affaire de tous ; sa préservation face aux risques inondations nous concerne tous, et les maires au premier chef.
Le patrimoine culturel, dans toute sa diversité, est une composante majeure de l’identité des peuples. Pour autant, il est particulièrement fragile (cf. l'incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019). Il doit donc être protégé en amont de la catastrophe.
Fondé en 2001, le Bouclier bleu France (BbF) – ex Comité français du Bouclier Bleu[1], reconnu d'intérêt général, est le relais en France du Blue Shield International, lui-même créé en 1996 par les Conseils internationaux des archives (ICA), des musées (ICOM), des monuments et des sites (ICOMOS) et des bibliothèques (IFLA). Il représente un corps d'experts capables de conseiller élus, décideurs et professionnels en cas de catastrophe naturelle (ou de conflit armé) menaçant le patrimoine culturel.
Son domaine d’intervention est donc vaste : bibliothèques, archives, musées, monuments et sites, maisons d'écrivains, jardins remarquables… et concerne les patrimoines bâti, écrit, audiovisuel, muséal, etc....
Le BbF développe son action dans trois phases différentes : avant, pendant et après une catastrophe.
La phase préventive est particulièrement privilégiée. Elle consiste à évaluer les risques et sensibiliser aux menaces réelles ; à améliorer la prévention des risques ; à former les professionnels à intervenir lors d'une catastrophe (prévision des interventions), et après celle-ci, pour éviter les sur-dégradations. L'élaboration de plans d'urgence ou Plans de Sauvegarde des Biens Culturels au sein des institutions patrimoniales est ainsi capitale. L'organisation d'exercices sur feux réels, mis en place en collaboration avec de nombreux SDIS permet également aux différents secteurs de s'entraîner à la meilleure réaction. Cette culture des risques et de leur prévention doit être développée auprès des responsables d’établissements patrimoniaux, mais aussi auprès des autorités tant civiles (élus des collectivités territoriales) que militaires et des sapeurs-pompiers. Pour cela, le BbF propose des formations et des ateliers de sensibilisation.
Dans cette perspective, le Ministère de la transition énergétique et solidaire a confié au BbF en 2018 et 2019 une mission d'analyse de la vulnérabilité des biens culturels patrimoniaux concernés par le risque inondation dans l'élaboration des Plans d'Action pour la Prévention des Inondations (PAPI) ou autres programmes similaires.
L'accent est mis sur le fait que les mesures préventives sont utiles non seulement dans la perspective d'une catastrophe, mais également dans la gestion quotidienne d'une institution, et qu'elles contribuent au bon entretien des collections.
Quand une catastrophe survient impactant du patrimoine culturel, le Bouclier bleu France peut également être contacté pour des conseils ou des interventions directes.
La phase des retours d'expérience est également majeure pour capitaliser sur les enseignements d'une réaction sur sinistre. Ainsi, le colloque « Rebondir : patrimoines et résilience » organisé en janvier 2020 à Paris par le BbF a-t-il pu en témoigner.
Le BbF se démultiplie, sur le terrain, en sections locales. Actuellement, 6 sections locales sont actives : Pyrénées-Garonne-Méditerranée, Paris-Ile-de-France, Bassin du Rhône, Est, Atlantique, et Tarn.
La mise en place d’un Plan de Sauvegarde des Biens Culturels (PSBC) est généralement un travail d’autant plus important pour une institution patrimoniale qu’il est source d’angoisse pour les agents qui en ont la charge et leurs collaborateurs qui devront le mettre en œuvre. Cette peur réapparaît souvent lors des indispensables exercices de mise en œuvre du PSBC, et bien plus encore lorsqu’il faut faire face à un sinistre.
Le Bouclier bleu France devant former ses nouveaux membres et organisant également des formations sur cette thématique, il nous a semblé utile de développer de nouveaux outils pédagogiques moins anxiogènes, faisant appel au jeu et à la participation active des stagiaires. La mise en place d’un PSBC est un travail d’équipe ; l’idée principale est donc que les stagiaires apprennent avant tout à mettre leurs ressources en commun, en utilisant ensemble ces outils qui se présentent sous la forme d’objets divers à assembler, trier, organiser ou construire. Il s’agira ainsi par exemple de créer des schémas d’organisation opérationnels en 3D à l’aide de cubes en bois et de connecteurs, de trier des cartes de matériels d’urgence par catégorie d’utilisation (coordination, évacuation ou protection des biens, nettoyage, intervention de stabilisation…) ou de source d’approvisionnement (fournisseurs spécialisés, grandes surfaces de bricolage, service d’une collectivité territoriale, autre institution patrimoniale…).
L’outil, qui peut sans doute paraître assez régressif à première vue, est un petit musée Playmobil. Ce musée comprend toutes les fonctions d’un musée classique (salles d’exposition, réserves, PC sécurité, atelier de restauration, bureaux pour l’administration…). Il permet dans un premier temps de faire un plan de prévention des risques (repérage des zones à risque d’inondation ou d’incendie), puis de construire un PSBC, et enfin de faire un exercice suivant différents scenarii possibles.
Chaque stagiaire pourra ainsi s’identifier à une figurine et jouer son propre rôle à travers elle de façon concrète, mais moins traumatisante que lors d’un exercice grandeur nature. Autre intérêt, chaque participant pourra avoir une vue d’ensemble de la situation à chaque instant, ce qui permet de mieux visualiser le rôle de chacun pour apprendre à mieux se coordonner. Les participants sont pleinement mobilisés, à la fois sur le plan de la réflexion et de l’imaginaire, mais aussi physiquement. La mémorisation des principes et actions de base est d’autant plus favorisée que tous les sens sont en action et qu’elle peut s’effectuer de façon positive et ludique.
Ces outils pédagogiques peuvent être utilisés indépendamment ou de façon combinée sous la forme d’un escape game par exemple. Ils comportent plusieurs niveaux en fonction du niveau d’expertise des participants. Ils n’ont pas vocation à remplacer les formations classiques mais peuvent être un complément ou un instrument de première approche pour favoriser par exemple la cohésion d’une équipe en charge de la mise en placer d’un PSBC.
[1] Le terme « Bouclier Bleu » désigne, dans la Convention pour la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé, adoptée à La Haye le 14 mai 1954, le signe distinctif qui, apposé sur certains édifices, doit les protéger des destructions et des exactions militaires.
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