En raison de leur intensité et des surfaces touchées, les incendies qui ont parcouru l’Amazonie, l’Indonésie, l’Australie et la Sibérie en 2019 ont été qualifiés de mégafeux. Ce concept de mégafeu n’est pas un concept scientifique et le terme correspond plutôt à un changement d’échelle empirique se référant à des très grandes surfaces, à des feux de très grande intensité et de longue durée. Il n’y a pas à proprement parler de seuil, car il change selon la taille des régions, des pays et le terme méga se réfère donc plutôt au côté spectaculaire et extrême de ces incendies qu’à un seuil clairement défini.
Une particularité récente réside dans le fait que ces incendies spectaculaires qui historiquement touchaient plus particulièrement les régions chaudes tropicales et méditerranéennes se manifestent aussi à des latitudes plus nordiques comme en Sibérie et en Alaska, signe des effets du changement climatique provoquant des saisons sèches longues même sous des latitudes septentrionales.
Le départ d’incendie dépend de trois principaux facteurs : le climat (périodes sèches longues et répétées comme les phénomène El Niño), le combustible (type de végétation, état de la végétation) et l’allumage. Le facteur commun immuable à toutes les régions touchées par ces incendies est naturellement le climat. Les mégafeux sont favorisés par des périodes de sécheresses longues, répétées et extrêmes accompagnées de fortes chaleurs, et parfois comme ce fut le cas en Australie, un déficit de pluies pendant les périodes dites humides. On manque encore de recul pour affirmer cette tendance de façon scientifique, cependant il est certain que ces mégafeux sont un aperçu du futur qui nous attend, car les phénomènes météorologiques propices aux mégafeux (sécheresse et chaleur) ont augmenté d’environ 20% en cinquante ans et la tendance est à l’aggravation continue.
En ce qui concerne le combustible, le type et l’état de la végétation jouent naturellement un rôle essentiel. En effet, une forêt tropicale humide dégradée par des prélèvements de bois excessifs et par des sécheresses répétées accumule de la matière végétale morte (feuilles, troncs d’arbres morts) et son sous-bois est moins dense, donc son microclimat est plus sec. Ces conditions sont autant de facteurs augmentant l’inflammabilité de ces forêts qui se montrent en conséquence beaucoup plus vulnérables face aux incendies. Au contraire, dans une forêt tropicale humide non perturbée, le feu ne pourra pas se propager au-delà de quelques mètres, car l’air dans le sous-bois reste humide ainsi que la végétation. À l’opposé, une forêt sèche est plus inflammable qu’une forêt tropicale humide, mais ses capacités de régénération après le passage du feu sont aussi plus importantes, car une grande partie de ses espèces se sont adaptées aux incendies. Ainsi, certains types de forêts comme les forêts d’eucalyptus en Australie se sont adaptées et se régénèrent très bien et rapidement après un incendie. Les incendies favorisent la régénération des eucalyptus qui peuvent coloniser des terres brûlées autrefois occupées par d’autres types de forêts. Les eucalyptus produisent d’ailleurs beaucoup de matériel inflammable (écorce desquamante, huile dans les feuilles) qui accentuent ainsi la propagation du feu pour leur propre bénéfice ! Une partie de la végétation australienne a été façonnée par l’action humaine depuis plus de 50 000 ans et s’est adaptée aux pratiques de gestion par le feu des aborigènes.
Notre forêt méditerranéenne a également été façonnée par des millénaires de pratiques pyrophiles par les populations humaines pour le développement des cultures et l’ouverture de pâturage pour les troupeaux domestiques. Ces pratiques ont largement contribué à diffuser les espèces d’arbres résilientes aux incendies (chêne liège) ou des espèces dont la régénération est favorisée par le feu (pin d’Alep). Les incendies peuvent donc effectivement favoriser des espèces au détriment d’autres, moins adaptées aux feux. Cependant, si des incendies extrêmes devaient se répéter de façon régulière, les écosystèmes ainsi perturbés risquent de perdre leur capacité de régénération naturelle à revenir à leur état antérieur. Seule une intervention humaine forte permet alors à ces écosystèmes de reprendre leur trajectoire vers leur état initial.
L’allumage peut être d’origine naturelle (foudre), mais dans la grande majorité des cas il est d’origine humaine, soit accidentelle (mégots, étincelles de soudage, verre faisant loupe) soit volontaires (conversion pour l’agriculture, spéculation foncière, appropriation de terres). En Amazonie et de façon générale dans les régions tropicales, le feu est utilisé dans la dernière étape du processus de conversion des forêts en terres agricoles ou en pâturages. Dans un premier temps la forêt est exploitée pour retirer les arbres d’intérêt commercial. Une fois ces arbres retirés, en général de façon illégale, la forêt est abattue pendant la saison des pluies. Le matériel végétal mort au sol sèche pendant la saison sèche. En fin de saison sèche, le feu est allumé intentionnellement pour éliminer tout le matériel végétal séché et convertir le terrain en pâturage ou en terre agricole en début de saison des pluies.
Combattre les incendies une fois propagés est une tâche généralement impossible, notamment dans des régions aussi étendues que l’Amazonie où il existe très peu d’infrastructures routières permettant l’accès aux feux. La seule façon efficace de lutter contre les mégafeux est donc la prévention. Cette dernière peut prendre de nombreuses formes. La première est de lutter contre la dégradation des écosystèmes à travers leur préservation et la promotion de pratiques de gestion durable des ressources forestières, en particulier lutter contre l’exploitation illégale de bois, source importante de dégradation, notamment en Amazonie. Dans les paysages très dégradés où la végétation a perdu sa capacité à se régénérer, il convient alors d’investir dans la restauration forestière de ces paysages afin de limiter les risques d’incendie. D’autres actions de gestion des écosystèmes face aux risques d'incendies existent, par exemple la mise à feu préventive et contrôlée du matériel végétal mort inflammable accumulé dans certaines formations comme les forêts d'eucalyptus. La prévention passe aussi par la mise en place de systèmes de suivi permettant d'évaluer régulièrement dans l’espace et dans le temps les risques d'incendies et de se tenir prêt quand les risques sont élevés.
Si les conditions climatiques continuent à engendrer des périodes sèches de plus en plus longues et répétées, l’efficacité de ces mesures de préventions risquent néanmoins d’être très limitées. La lutte contre le réchauffement climatique reste la seule solution sur le long terme pour éviter que les mégafeux ne se manifestent régulièrement et ne se généralisent à toutes les latitudes.
// Article paru dans Risques Infos n°41 - novembre 2020, à consulter ici ou là :
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