La résilience aux évènements catastrophiques constitue un premier registre de résilience territoriale, fondé sur la capacité d’un système à assurer son maintien ou son retour dans son domaine d’équilibre à la suite d’une perturbation. Il s’agit d’une résilience qualifiée de réactive (Laganier, 2013) et d’adaptation immédiate à une perturbation, qui relève plutôt de la gestion des risques et de l’anticipation des situations de crises. Parmi ces impacts, ceux affectant les réseaux techniques ont un rôle critique, tant pour les dysfonctionnements sociétaux qui découlent de leurs interruptions que pour leur capacité à globaliser et prolonger la crise.
La prise en compte des réseaux techniques et des effets dominos a connu de réels progrès au cours de la dernière décennie, tant sur le plan scientifique que sur les plans opérationnel et législatif. Deux stratégies complémentaires permettent d’améliorer cette résilience territoriale de temps court.
La première, d’ordre organisationnel, met d’abord l’accent sur une meilleure connaissance des interdépendances entre les différents réseaux techniques et services urbains, sur la mise en relation de leurs gestionnaires et sur la coordination interorganisationnelle pour établir des stratégies transversales de gestion des perturbations (Therrien, 2010, Toubin et al., 2012). Il s’agit également d’améliorer les capacités d’apprentissage et favoriser la constitution d’une mémoire pérenne et formalisée des évènements passés, en menant des retours d’expérience qui insistent davantage sur les dynamiques spatio-temporelles des évènements (rythme de diffusion et de résorption des crises), sur les effets des endommagements d’une infrastructure d’un réseau technique sur les autres composantes de ce même réseau, sur les autres réseaux techniques et finalement sur les fonctionnements territoriaux dans leur ensemble. D’autre part, le développement d’une connaissance anticipative fondée sur une logique possibiliste doit permettre de porter une plus grande attention à des scénarios qui ne sont habituellement pas envisagés par les gestionnaires, car très hautement improbables voire non mesurables (Voiron, 2012, Dutozia, Voiron, 2018).
Par exemple, les résultats de simulations d’effets dominos inondation-réseau électrique, présentés sur la carte, permettent d’identifier des espaces à enjeux comme des hôpitaux ou des écoles maternelles, qui ne sont pas directement compris dans le périmètre de l’aléa, mais pourraient être impactés par une coupure de réseau électrique. Testé à l’échelle des 108 territoires à risques importants d’inondations (TRI) de France continentale (hors Paris intra-muros et les 5 % de réseaux de distribution électrique non gérés par ENEDIS pour laquelle nous ne disposions pas des données sur le réseau de distribution électrique), la démarche menée à partir d’un système d’information géographique, permet par exemple d’estimer que pour le scénario d’inondation de probabilité d’occurrence faible des TRI, parmi les 338 établissements hospitaliers français (Base FINESS), 33 se trouveraient directement dans un périmètre inondé, et 78 seraient dépendants d’un poste source électrique (HTB-HTA) situé dans un périmètre inondé. De même pour les 13 871 écoles maternelles (base de données ouverte du ministère de l’Éducation nationale), 849 sont localisées dans un périmètre inondé alors que 1 458 sont dépendantes d’un poste source électrique en zone inondable, ce qui les rend indirectement exposées au risque inondation, sans faire partie d’une zone inondable.
Fig 1. Exemple d’espaces à enjeux et effets de réseaux dans les systèmes de risque d’inondation à Nice © J. Dutozia - Université Côte d’Azur
Cette connaissance issue de situations anticipées s’avère toutefois limitée au champ des possibles considéré. Elle peut même s’avérer contre-productive en termes de résilience, en instillant un pernicieux sentiment de sécurité et de maîtrise, si elle est assimilée à de la prévision. La démarche de résilience invite au contraire à reconnaître la nature imprévisible et incontrôlable de certains évènements et à rechercher les possibilités qu’ont les territoires à y faire face.
De ce fait, il apparaît indispensable de développer en parallèle d’une meilleure connaissance anticipative, une culture de l’action en contexte inconnu chez les gestionnaires de risques services urbains. Il s’agit par exemple de mettre en œuvre régulièrement des exercices de gestion de crise fondés sur des scénarios « hors cadres », qui nécessitent des mesures et des prises de décisions en dehors de stratégies planifiées, et qui permettent de développer la capacité intellectuelle et émotionnelle pour piloter un système instable, chaotique, non plus seulement incertain mais inconnu (Lagadec, 2013). Apprendre à improviser, à identifier des signaux faibles et des signaux aberrants, à synthétiser et fiabiliser des informations issues de canaux non officiels ou encore à prendre des décisions admettant un risque d’erreur relativement élevé constitue alors des compétences nouvelles et importantes pour améliorer la composante organisationnelle de la résilience réactive.
La seconde stratégie est d’ordre technique et infrastructurel, elle vise à limiter le degré de perturbation du système au moyen d’une meilleure capacité de résistance et d’absorption (Serre et al., 2012). Le durcissement des points de réseaux exposés à un aléa donné relève de cette stratégie, en procédant par exemple à la surélévation des postes localisés dans des zones inondables ou encore à l’enfouissement des lignes exposées à un aléa tempête. Parallèlement à ce renforcement physique des infrastructures techniques qui doit permettre de limiter les possibilités d’endommagement des postes, d’autres mesures peuvent avoir pour but de limiter les dysfonctionnements et les interruptions de services engendrées par ces endommagements. Il s’agit alors de diminuer la vulnérabilité fonctionnelle des réseaux en améliorant leurs degrés de redondance et en densifiant son niveau de maillage, de manière à pouvoir pallier la perte d’une ou plusieurs composantes par des chemins alternatifs.
Fig. 2. Leviers organisationnels et infrastructurels pour améliorer la résilience réactive des territoires et des réseaux © J. Dutozia - Université Côte d’Azur
La résilience est un processus qui se joue sur des temporalités distinctes et qui couple des logiques de résistance et d’adaptation. En parallèle des capacités de résilience susceptibles d’être mobilisées par les territoires en période post-traumatique, une autre forme de résilience, plus générale, opère dans une temporalité plus longue liée aux rythmes de transformation des territoires, des systèmes techniques et des sociétés. La résilience est alors envisagée comme un processus dynamique mettant en jeu les capacités de changer, d’innover, de réinventer et de réajuster continuellement et collectivement un projet de territoire en fonction de possibilités et de contraintes futures changeantes, incertaines et en partie inconnues. C’est dans cette optique qu’une stratégie de résilience peut permettre d’impulser localement le passage d’une logique d’adaptation au changement climatique « par les marges » vers des mutations structurelles plus fondamentales et devenir un moyen de réaliser la durabilité des territoires.
BIBLIOGRAPHIE
Dutozia J., (2013), Espaces à enjeux et effets de réseaux dans les systèmes de risques, thèse de doctorat de Géographie, université de Nice Sophia Antipolis, 313 p.
Dutozia J., Voiron C., (2018), La résilience urbaine face aux risques, en contexte de changement climatique, Articuler la gestion des évènements extrêmes et les stratégies de développements des territoires pour opérationnaliser la résilience des villes d’aujourd’hui et de demain. Rapport en ligne, 76 p.
Laganier, R. (2013), « Améliorer les conditions de la résilience urbaine dans un monde pluriel : des défis et une stratégie sous contrainte ». Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 72, (4), 65-71.
Lagadec P. (2013), « Piloter en univers inconnu ». Kit n° 1, Collection « Les Kits de Préventique », Préventique, 24 p.
Quenault B. (2013), « Retour critique sur la mobilisation du concept de résilience en lien avec l’adaptation des systèmes urbains au changement climatique », EchoGéo, 24, 23 p.
Serre D., Barroca B., Laganier R. (2012), « Résilience and urban risk management ». CRC Press, Taylor & Francis, 192 p.
Therrien, M.-C. (2010), « Stratégies de résilience et infrastructures essentielles ». Télescope, vol. 16, n° 2, 154-171.
Toubin M., Lhomme S., Diab Y., Serre D., Laganier R., (2012), « La résilience urbaine : un nouveau concept opérationnel vecteur de durabilité urbaine ? ». Développement durable et territoires, Vol. 3, n° 1, 18 p.
Voiron C. (2012), « L’anticipation du changement en prospective et des changements spatiaux en géoprospective ». Espace géographique, 2, 99-110.
/// Article tiré de la revue Risques Infos, n°39, p.15-16, août 2019
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